avril 24, 2025
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POLITIQUES ET PROGRAMMES VISANT A PERTURBER LES MARCHES DES DROGUES DE SYNTHESE L’exemple du tramadol en Afrique de l’Ouest

L’initiative « Crime organisé : réponse ouest-africaine au trafic » du Global Initiative Against Transnational Organized Crime (Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale- GI-TOC) s’est perchée sur la percée du tramadol en Afrique de l’Ouest, à travers un document de recherche intitulé « Diffusion, détournement, déplacement, mais pas de perturbation : Les marchés des drogues de synthèse vus à travers l’exemple du tramadol en Afrique de l’Ouest ». Le rapport explore la manière dont les marchés criminels réagissent aux politiques et aux programmes visant à les perturber, en particulier les marchés des drogues de synthèse, en suivant cinq réactions distinctes du marché du tramadol depuis 2018. Le rapport se concentre sur les marchés du tramadol au Niger, au Bénin et au Togo, tout en s’appuyant sur des tendances plus générales dans la région de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’étude s’appuie sur un large éventail de données primaires et secondaires. La principale source de données est le travail sur le terrain effectué entre février et mars 2023 au Bénin, au Togo et au Niger. Ces trois pays ont été sélectionnés en raison du rôle central qu’ils jouent sur le marché régional du tramadol. L’étude a été coordonnée dans le cadre du volet 4 du projet Organized Crime: West African Response to Trafficking. Le sujet a été approuvé par la CEDEAO avant le début de l’étude.

Pour comprendre ce rapport, en résumé, il souligne qu’à travers l’Afrique, la GI-TOC (Global Initiative Against Transnational Organized Crime (Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale) a mis en évidence la prolifération des drogues de synthèse, la transformation des marchés de la drogue qui en résulte et l’escalade des dommages liés à la drogue. La nature des marchés de drogues de synthèse – avec leurs faibles barrières à l’entrée et leurs chaînes d’approvisionnement flexibles – les rend attrayants pour les acteurs criminels et difficiles à combattre. La réponse en Afrique est en outre entravée par le manque de données concernant la portée et l’ampleur du marché des drogues de synthèse. Le présent rapport explore la manière dont les marchés criminels réagissent aux politiques et aux programmes visant à les perturber. Le tramadol est utilisé comme grille de lecture pour examiner les cadres de réponse existants aux drogues de synthèse dans la région de la CEDEAO et plus largement.

Selon le document de recherche, les effets néfastes des marchés des drogues de synthèse sont connus depuis des dizaines d’années. En 1971, la Convention des Nations Unies sur les substances psychotropes a établi un protocole pour lutter contre les drogues, telles que les amphétamines, les barbituriques et les psychédéliques. Depuis lors, et en particulier depuis 2010, le nombre de drogues de synthèse et de leurs précurseurs s’est multiplié et a largement dépassé le cadre des substances réglementées à l’échelle internationale. Les nouvelles substances psychoactives (NPS) considérées comme présentant des risques pour la santé publique sont six fois plus nombreuses qu’en 2009. On en dénombrait 1 047 en 20201. À travers l’Afrique, la GI-TOC a mis en évidence la prolifération des drogues de synthèse, des opioïdes de synthèse aux méthamphétamines et aux cannabinoïdes de synthèse, la transformation de plusieurs marchés de la drogue qui en résulte et l’escalade des dommages liés aux stupéfiants.

Le rapport indique qu’en Afrique de l’Ouest, le tramadol, un opioïde pharmaceutique, est aujourd’hui la drogue de synthèse la plus consommée et celle qui fait l’objet du trafic le plus intense. Entre 2013 et 2018, c’est dans cette région que les saisies de tramadol ont été les plus importantes5. En 2017, 77 % des saisies mondiales de tramadol ont eu lieu en Afrique de l’Ouest6. C’est une tendance constante. Entre 2016 et 2020, la moitié du volume mondial des opioïdes pharmaceutiques a été saisie en Afrique, en grande partie en raison de l’usage non médical du tramadol7. Commerce de cocaïne Bien qu’il n’existe pas de données quantitatives fiables sur la consommation de drogues en Afrique de l’Ouest, des entretiens avec des consommateurs de drogue (PWUD) et des professionnels de l’application de la loi, de la société civile et de la santé en Afrique de l’Ouest soulignent la prévalence de la consommation de tramadol, nombre d’entre eux faisant état d’augmentations de son usage sur les marchés de détail dans leur pays8. Trafic d’êtres humains Traite des personnes Selon le Réseau ouest-africain d’épidémiologie sur la consommation de drogue (WENDU), huit pays d’Afrique de l’Ouest ont signalé que le tramadol était le médicament pris par les personnes en quête de traitement pour des troubles liés à la drogue le plus inquiétant au cours de la période 2020-2022 – contre deux pays (le Bénin et le Togo) au cours de la période 2020-20219. (Il est essentiel de savoir que si l’usage non médical du tramadol, objet du présent rapport, est une tendance préoccupante, cette substance joue un rôle important dans le traitement de la douleur en chirurgie et dans d’autres contextes médicaux en Afrique de l’Ouest et dans le monde, et que l’accès à des ressources pour soulager la douleur en Afrique de l’Ouest reste un problème de taille). Le tramadol n’est pourtant que la face la plus visible du problème des drogues de synthèse en Afrique de l’Ouest. De par leur nature (faibles barrières à l’entrée et chaînes d’approvisionnement flexibles), les marchés des drogues de synthèse exercent un fort pouvoir d’attraction sur les acteurs criminels et sont également extrêmement difficiles à combattre efficacement. En Afrique, la lutte contre ces drogues est de surcroît entravée par un manque de données étayées sur la portée et l’ampleur du marché des drogues de synthèse, qui conduit à sous-estimer de manière constante sa présence et son impact. La fin des années 2010 a été déterminante dans la réponse apportée aux marchés du tramadol en Afrique de l’Ouest et, par conséquent, à l’évolution du marché criminel. À partir de 2016, les agents des forces de l’ordre se sont de plus en plus centrés sur le tramadol dans une grande partie de la région, tandis que l’année 2018 a été marquée par l’adoption, en Inde, alors principal pays producteur de ce médicament, d’une réforme réglementaire qui régit son exportation.

Tramadol : évolution de la politique et de la réponse : Inde et Afrique de l’Ouest

Le rapport souligne que si le tramadol existe depuis les années 1970, son entrée physique sur le marché informel de la drogue en Afrique de l’Ouest ne fait l’objet d’un suivi que depuis le milieu des années 200022. La fin des années 2010 a été marquée par une forte augmentation des importations de tramadol en Afrique subsaharienne, ainsi que par une croissance proportionnelle de la consommation. Dans plusieurs pays de la CEDEAO, cette situation a donné lieu à des efforts accrus de la part des gouvernements pour perturber l’approvisionnement en tramadol des marchés illicites d’Afrique de l’Ouest. Dans cette étude, nous nous concentrons sur deux évolutions significatives de ces réponses. Tout d’abord, la réforme de 2018 des règles d’exportation du tramadol en Inde, pays producteur de produits pharmaceutiques qui était jusqu’alors à l’origine d’une grande partie de l’approvisionnement en tramadol de l’Afrique de l’Ouest. Ensuite, un effort accru en matière d’application de la loi. Nous nous focaliserons ici sur les études de cas du Niger, du Togo et du Bénin.

Les gouvernements d’Afrique de l’Ouest intensifient la répression

À partir de la fin des années 2010, les gouvernements du Bénin, du Togo et du Niger ont adopté une position de plus en plus ferme à l’égard de l’usage non médical et du commerce illicite du tramadol, bien qu’à des degrés divers. Les consommateurs de drogue et les défenseurs de la société civile dans ces trois pays ont également fait état d’une recrudescence des efforts déployés en matière d’application de la loi. Le Bénin a longtemps mené des initiatives contre le trafic de produits pharmaceutiques, avec notamment l’Appel de Cotonou contre les faux médicaments en 200937. L’élection du Président Patrice Talon en 2016 a toutefois marqué une forte escalade dans la lutte contre les marchés du tramadol, avec une augmentation des opérations d’interdiction, des saisies et des mesures de sensibilisation du public par les forces de l’ordre. Le 24 février 2017, le Président Talon a déployé à l’échelle nationale l’opération Pangea 9, vaste programme mené par Interpol depuis 2008, qui vise à sensibiliser aux effets néfastes des faux médicaments et à poursuivre les trafiquants et autres personnes impliquées.

L’intensification de la répression s’est notamment traduite par des descentes de police répétées, notamment au marché de Dantokpa, l’un des plus grands marchés de Cotonou et plaque tournante connue pour la vente de produits pharmaceutiques illicites. Lors d’un seul et même raid mené en mars 2017, 84 tonnes de produits pharmaceutiques ont été saisies et 109 personnes ont été arrêtées. Plus récemment, un raid effectué en 2021 aurait abouti à l’arrestation de 99 personnes. Ces opérations sont généralement menées par l’Office Central de Répression du Trafic Illicite de Drogue et Précurseurs et par l’Agence Béninoise de la Régulation Pharmaceutique. La création de la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme en 2018 a joué un rôle majeur de dissuasion des pratiques de corruption au port principal, dans d’autres infrastructures de transport et aux points d’entrée officiels.

Les saisies de tramadol dans le port de Cotonou ont sensiblement diminué par rapport à 2019. Comme indiqué ci-dessus, l’interprétation des données relatives aux saisies en tant qu’indicateur du volume du trafic est une entreprise délicate. Une diminution du volume des saisies d’une substance particulière dans le port n’est pas, en soi, une preuve concluante d’une diminution du volume du flux, même si les représentants du gouvernement ont à plusieurs reprises fait une corrélation en ce sens. Le Niger a inscrit le tramadol sur sa liste en 201343. La multiplication des descentes de police et des opérations dans les villes de Niamey, Agadez et Maradi aurait conduit au démantèlement de trafics de tramadol, ainsi qu’à la fermeture de nombreux magasins en périphérie de ces villes44. Le Togo a adopté sa réforme réglementaire en 2015, dans le but d’améliorer la réponse nationale au marché illicite des produits pharmaceutiques en particulier, et au marché national des drogues illicites de manière plus générale. À peu près au même moment, le Togo a mis en place des structures de sécurité et de contrôle supplémentaires à ses points d’entrée internationaux, notamment au port maritime autonome de Lomé et à l’aéroport international. Les organisations locales issues de la société civile considèrent toutefois l’année 2021 comme le véritable tournant. C’est en effet l’année où les raids se sont intensifiés et où les forces de l’ordre ont commencé à mener « une guerre contre les vendeurs ».

Suivi de l’évolution de la dynamique du marché criminel

Les mesures prises par les États pour lutter contre l’offre semblent avoir contribué à cinq grandes tendances perceptibles sur les marchés ouest-africains du tramadol à usage non médical, que l’on peut classer en impacts de premier et de second ordre. Les premières sont, de par leur nature, légèrement plus simples à vérifier et sont davantage étayées. Depuis 2018, les marchés illicites du tramadol : • (dans les pays concernés) sont devenus moins visibles et opèrent plus clandestinement ; • (dans les pays concernés) ont vu les prix de détail augmenter ; • (dans certains pays d’Afrique de l’Ouest) sont de plus en plus souvent approvisionnés en tramadol (licite ou illicite) fabriqué et expédié depuis le Pakistan. Les impacts de second ordre découlent de ces trois éléments. Étant donné que tous deux reposent sur des analyses, ils peuvent être imputables à des changements dans les méthodes d’analyse plutôt qu’à des changements importants sur le marché lui-même. Les tendances en matière d’établissement de rapports étant néanmoins similaires dans les pays étudiés et dans d’autres pays de la CEDEAO, nous faisons ces évaluations avec un certain degré de confiance : • une gamme de drogues de synthèse dont la composition chimique est similaire à celle du tramadol (par exemple, le tafrodol) est entrée sur le marché de la consommation en Afrique de l’Ouest depuis 2018 ; • le tramadol a, dans certains cas, été remplacé ou complété par des médicaments de synthèse présentant avec lui une ressemblance chimique limitée. Ce phénomène est interprété comme faisant partie intégrante d’une tendance à l’émergence de nouveaux médicaments de synthèse en remplacement d’autres médicaments (de synthèse ou à base de plantes) devenus plus chers ou plus rares, ou les deux à la fois. Nous étudions chacun d’entre eux tour à tour, en inscrivant cette analyse dans le contexte plus large du suivi du comportement des marchés criminels (en particulier des marchés des drogues de synthèse) en réaction aux interventions visant à lutter contre l’offre.

Le Pakistan, un pays d’exportation de tramadol vers l’Afrique de l’Ouest de plus en plus important

Depuis 2020, les saisies de tramadol en provenance du Pakistan ont augmenté en Afrique de l’Ouest. Elles se sont concentrées au Nigéria, point d’entrée majeur du tramadol dans la région. En 2020, l’agence nationale nigériane de lutte contre la drogue (NDLEA) a publiquement désigné le Pakistan comme « nouvelle plaque tournante des trafiquants de drogue qui introduisent clandestinement du tramadol dans le pays », notant que l’Inde n’était plus le point d’origine du tramadol.

Si le tramadol est en grande partie importé par voie maritime, la plupart des saisies de tramadol en provenance du Pakistan signalées ont, au Nigéria, curieusement été effectuées dans des aéroports. Les saisies répétées opérées à l’aéroport international Murtala Muhammed de Lagos ont visé des vols en provenance de Karachi, dont les itinéraires passent généralement par Doha ou, dans une moindre mesure, par Istanbul. Cela suggère qu’il pourrait s’agir de l’un des principaux itinéraires empruntés par le trafic de stupéfiants. D’autres aéroports régionaux ont été utilisés pour le trafic vers le Nigéria. En juillet 2021, 50 kilogrammes de tramadol en provenance du Pakistan ont été saisis par des agents du Programme de communication aéroportuaire du Togo (AIRCOP). La cargaison était destinée au Nigéria.

Lomé est également un important centre régional de transit aérien Sur les marchés criminels de la drogue, les points d’approvisionnement sont souvent déplacés lorsqu’un site de culture ou de production est perturbé. L’interdiction de l’opium par les Talibans en Afghanistan en 2000 et les pénuries d’héroïne qui en ont résulté à l’échelle mondiale en 2001 se sont par exemple traduites par une expansion de la culture au Myanmar, ceci malgré les complications liées à la délocalisation des drogues d’origine végétale, comme le pavot à opium, vers des climats plus appropriés et des espaces de culture plus vastes. Il est beaucoup plus simple de délocaliser la fabrication des drogues de synthèse. Les chaînes d’approvisionnement en précurseurs sont facilement relocalisées et, dans un monde globalisé, le savoir-faire est de plus en plus mobile. Lorsque, sous la pression politique, la Chine s’est vu contrainte de restreindre les chaînes d’approvisionnement intérieures en fentanyl issues de sa production pharmaceutique industrielle, les entreprises associées aux drogues de synthèse se sont rapidement déplacées vers le Mexique, où les cartels ont dû faire face à une pression gouvernementale croissante visant à perturber les flux de cannabis et de méthamphétamine. Les précurseurs sont de plus en plus importés de Chine au Mexique. Des chimistes chinois (dont certains seraient liés au cartel de Zheng) se seraient donc rendus au Mexique pour partager des techniques de production. La délocalisation d’une partie de la fabrication de méthamphétamine du Mexique vers le Nigéria est un autre exemple de la flexibilité des chaînes d’approvisionnement en précurseurs et de la facilité du partage des connaissances.

Une gamme croissante de substances apparentées au tramadol pénètre les marchés de consommation d’Afrique de l’Ouest

Le cadre réglementaire du tramadol a été discuté à plusieurs reprises par des organismes internationaux de lutte contre la drogue, tels que la Commission des stupéfiants, l’ONUDC et l’OMS. Contrairement à d’autres opioïdes analgésiques, comme la morphine, le tramadol ne relève pas du contrôle international exercé par l’Organe international de contrôle des stupéfiants, malgré les efforts déployés par certains États pour l’y inclure. Le comité d’experts de l’OMS sur la pharmacodépendance a en effet recommandé en 2018 que l’OMS ne réglemente pas le tramadol à l’échelle internationale, « afin d’éviter un impact négatif sur l’accès à ce médicament ». Malgré l’absence de contrôles internationaux normalisés, de nombreux pays ont mis en place leurs propres contrôles nationaux sur la production, l’importation, l’exportation, la distribution et l’utilisation du tramadol. Au Bénin, au Niger, au Nigéria et au Togo, l’importation de tramadol est fortement réglementée. Un nombre limité d’importateurs sont autorisés à passer commande auprès d’un laboratoire agréé dans un pays producteur et à distribuer ensuite le médicament à des entreprises œuvrant dans le domaine de la santé publique, y compris des pharmacies publiques et privées. De plus, le tramadol n’est autorisé que jusqu’à un certain dosage.

Modifier la composition chimique des drogues de synthèse afin d’échapper à cette réglementation est une tactique courante des réseaux criminels. Des modifications mineures peuvent rendre les médicaments plus difficiles à identifier par des contrôles visuels et des tests chimiques. Les chimistes disposent d’une « marge de manœuvre presque infinie pour modifier la structure chimique »89 des substances synthétiques, les réglementations qui régissent les chaînes d’approvisionnement de certains composés chimiques (comme le tramadol) étant rapidement contournées par de nouvelles compositions. Les données relatives aux saisies et aux tests effectués dans les États d’Afrique de l’Ouest suggèrent que, depuis 2018, des opioïdes de synthèse similaires au tramadol, mais légèrement différents, ont fait leur entrée sur le marché de la vente au détail. Le plus important est sans doute le « tafrodol », un analgésique opioïde dont l’ingrédient actif est le tapentadol. Fort de propriétés et d’effets similaires, il semble être une imitation intentionnelle du tramadol. Le tafrodol comporte toutefois des risques importants pour la santé, car il associe le tapentadol au carisoprodol, un myorelaxant. La combinaison de ces deux substances peut entraîner de graves effets secondaires chez les consommateurs, y compris le coma et la mort.

Le tafrodol a été saisi dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest et au Sahel. Les responsables du port ghanéen de Tema ont observé une augmentation constante du nombre de cargaisons de tafrodol depuis 2020. En 2021, du tafrodol indien à destination du Nigéria a été saisi dans le port de Lomé, au Togo. Les saisies de tafrodol effectuées par le NDLEA à Lagos en 2020, qui aurait également été exporté depuis l’Inde, font état d’une augmentation du même ordre94. En Côte d’Ivoire, une drogue appelée « Tramaking » ou « Royal », qui répond aux noms de rue « apple », « 225 » et « khadafi », a gagné en popularité au cours de l’année 2023. Le « Tramaking » serait également un mélange de carisoprodol et de tapentadol. Les personnes interrogées à Abidjan ont indiqué qu’elles préféraient le Tramaking au tramadol en raison de son prix moins élevé et de ses effets plus durables. Au Nigéria, où l’on signale de plus en plus de saisies de tafrodol, les forces de l’ordre peuvent saisir du tafrodol, mais indiquent qu’ils ne peuvent actuellement pas engager de poursuites au titre des infractions associées.

En effet, le tafrodol n’est pas encore une substance répertoriée sur une liste de produits réglementés, bien qu’il soit plus dangereux pour la santé que le tramadol original96. Dans un contexte de préoccupations croissantes, les responsables des entités nationales chargées de l’application de la loi en Afrique ont proposé à l’issue de la réunion qui s’est tenue à Abuja en septembre 2023 de classer le tafrodol en tant que substance de synthèse dont l’usage doit être réglementé sur l’ensemble du continent.

En réponse aux innovations en matière de drogues de synthèse, certains pays (comme la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni) ont décidé d’interdire toutes les substances psychoactives à moins qu’elles ne soient explicitement définies comme légales98. Cette approche législative reste toutefois l’exception, la plupart des pays établissant une liste de substances interdites spécifiques, souvent par groupes de familles chimiques. Il existe un décalage entre les approches réglementaires suivies par les États africains et dans le monde entier et l’évolution rapide des substances de synthèse. À Maurice, où les cannabinoïdes de synthèse ont explosé sur les marchés de détail à partir de 2011, le laboratoire de police scientifique aurait identifié 40 nouvelles substances synthétiques entre 2013 et 2019. En conséquence, la loi antidrogue a été réformée à trois reprises au cours de cette période. De même, les autorités policières et sanitaires de l’île de Mayotte, dans l’océan Indien, qui a connu une vague similaire de consommation de cannabinoïdes de synthèse, ont dans un premier temps exprimé leur impuissance face au marché croissant d’une drogue appelée localement « chimique », notant que les trafiquants changent la composition de cette substance dès que la composition précédente est interdite.

Cette tendance témoigne d’une problématique majeure de la réglementation des drogues de synthèse : les trafiquants peuvent rapidement adapter les composés chimiques d’une substance de synthèse réglementée afin de déjouer les mesures de répression. Il ressort des recherches menées par la GI-TOC que l’éventail des drogues de synthèse disponibles sur le continent est beaucoup plus large et diversifié que ne le laissent supposer les opinions générales actuelles. La contamination des produits de base du marché de la drogue, tels que l’héroïne, la cocaïne et la MDMA (ecstasy), par des adultérants synthétiques non apparentés semble également augmenter de manière significative en Afrique australe et de l’Est, d’après une analyse chimique locale permanente des substances vendue sur le marché de la drogue.

Certains des adultérants synthétiques sont des substances nouvelles rarement observées sur d’autres marchés testés. La capacité des agents chargés de l’application de la loi à détecter, identifier et saisir les drogues est fortement entravée par la grande diversité des produits de synthèse désormais disponibles en Afrique de l’Ouest, et plus largement sur le continent africain, et en particulier par les précurseurs (réglementés et non réglementés) utilisés à des fins licites et illicites. Les agents des forces de l’ordre de première ligne ont bien du mal à déterminer si une substance est légale ou illégale, ou même à identifier une substance une fois qu’elle a été détectée. Ces problèmes ont été soulevés à plusieurs reprises par des représentants des services de l’ordre du Bénin, du Togo, de la Côte d’Ivoire, de l’Afrique du Sud et d’ailleurs.

Enfin, le rapport a émis des recommandations face à ce fléau : A c e titre, les réponses du côté de l’offre devraient cibler les sites proches du point de production de la drogue de synthèse. Il est essentiel d’harmoniser la réglementation et son application aux drogues de synthèse dans les différentes juridictions. Les décideurs politiques doivent tenir compte de la demande, en particulier du rôle du tramadol en tant qu’analgésique, dans la formulation des réponses. Les réponses aux drogues de synthèse en Afrique sont loin d’être à la hauteur : la prolifération des substances pose un défi important en matière d’identification et d’interdiction. On ne saurait voir ce qu’on ne cherche pas : le besoin de données supplémentaires sur les marchés des drogues de synthèse en Afrique est urgent.

Synthèse de Awa BA

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