avril 29, 2024
LA SOCIÉTÉ "MY MEDIA GROUP " SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU QUOTIDIEN "DAKARTIMES" DERKLE CITE MARINE N° 37. EMAIL: courrierdkt@gmail.com. SITE WEB: www.dakartimes.net.
A la une

RAPPORT MONDIAL 2021/2022 : L’Unesco passe au crible les maux dont souffrent les acteurs des média

Le rapport mondial 2021 / 2022 intitulé « Le journalisme est un bien public : Tendances mondiales en matière de liberté d’expression et de développement des médias », publié en 2022 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), s’inscrit dans la dynamique de l’amélioration du statut de la liberté de la presse qui est au cœur du mandat de l’UNESCO, qui consiste à promouvoir la libre circulation des idées par le mot et par l’image comme moyen de faire progresser la paix et le dialogue. L’Organisation reconnaît que la liberté d’expression est à la fois un droit humain fondamental en soi et un catalyseur d’autres droits. Le Rapport sur les tendances mondiales répond à une mission essentielle assignée à l’UNESCO par ses États membres lors de la 36e session de la Conférence générale et qui consiste, pour l’Organisation, à « suivre, en étroite collaboration avec d’autres organismes des Nations Unies et d’autres organisations concernées, actives dans ce domaine, la situation en matière de liberté de la presse et de sécurité des journalistes […] et [à] rendre compte des évolutions sur ces points à la Conférence générale ». Cette édition du Rapport sur les tendances mondiales met l’accent sur la compréhension du rôle du journalisme en tant que bien public, qui est à son tour un élément clé de la conception plus large de l’information en tant que bien public. Les conclusions s’appuient sur une analyse fondée sur des données, réalisée par l’UNESCO en partenariat avec Data-Pop Alliance, sur les tendances touchant à la liberté, au pluralisme et à l’indépendance des médias, ainsi qu’à la sécurité des journalistes, et sont étayées par une recherche initiale menée par Economist Impact et commandée aux fins du présent Rapport.

Comprendre le journalisme comme bien public

La viabilité, l’indépendance et la stabilité à long terme du journalisme font désormais l’objet de discussions de plus en plus urgentes. Dans de nombreux pays, le journalisme bénéficiait auparavant d’un financement relativement stable et s’accompagnait de valeurs et de pratiques professionnelles cohérentes. Les médias d’information professionnels étaient largement considérés comme des sources d’information fiables. Ces dernières années, cependant, les entreprises numériques ont bouleversé le modèle économique traditionnel du journalisme, qui reposait en grande partie sur les recettes publicitaires. Dans le même temps, les médias de service public (eux aussi souvent financés en partie par la publicité) ont été victimes de réductions des dépenses publiques. Les recettes publicitaires des entreprises de médias ont radicalement basculé vers le numérique au cours des cinq dernières années : les dépenses publicitaires sur l’Internet sont passées d’une part mondiale de 35 % en 2016 à 54 % en 2021. Selon les données de Zenith, obtenues et analysées par Economist Impact pour le présent Rapport, ce chiffre devrait atteindre près de 60 % en 202310. Les plateformes Internet du « duopole », Google et Meta, captent plus de la moitié de ces dépenses publicitaires numériques.

Alors que les développements numériques continuent de perturber le paysage des médias d’information, la pandémie de COVID-19 a accentué la tendance à plus long terme vers une croissance accélérée de la publicité sur l’Internet et de la diffusion des nouvelles numériques. La pandémie a provoqué une première baisse des dépenses publicitaires mondiales qui a encore altéré la viabilité de nombreuses entreprises de médias. Si que les dépenses publicitaires mondiales ont montré des signes de reprise – une augmentation estimée entre 14 et 19 % en 2021 après une baisse de 2,5 % en 2020 – le rebond s’est produit principalement dans les dépenses publicitaires numériques, où les médias d’information manquent de force concurrentielle. Par conséquent, cette tendance a renforcé la position des principaux services de l’Internet sur le marché de la publicité.

Dans un contexte de réduction des recettes publicitaires, de nombreux organismes de presse, qu’ils soient traditionnels ou exclusivement numériques, ont dû lutter pour survivre avec des budgets réduits et des effectifs en baisse. Par exemple, en février 2021, les marques d’informations numériques BuzzFeed et HuffPost ont fusionné afin de renforcer leur position sur un marché publicitaire en baisse pour les médias d’information. Peu de temps après, cependant, les salles de rédaction de ces marques ont dû faire face à des restructurations, à des licenciements massifs et à des fermetures14. Dans les pays développés comme dans les pays en développement, la situation est bien pire pour les petits médias, les producteurs de nouvelles locales et d’autres organisations médiatiques moins stables financièrement, et vient exacerber des tendances qui existaient déjà avant la pandémie.

D’autre part, la crise a forcé de nombreux médias à innover et à expérimenter de nouveaux modèles économiques, ce qui a donné lieu à certaines tendances encourageantes. Les technologies numériques ont considérablement réduit le coût d’accès aux outils de collecte d’informations, abaissant ainsi les coûts de démarrage d’acteurs tels que Rappler, Malaysiakini, Le Desk, La Silla Vacía, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project et d’autres projets de journalisme d’investigation et communautaire. Les jeunes pousses de l’information peuvent entrer sur le marché relativement facilement et produire un journalisme indépendant de grande qualité. Cette tendance a permis d’accroître le pluralisme des médias dans le monde entier en diversifiant les sources d’information au-delà des grands médias traditionnels, même si les répercussions de cette évolution sont particulièrement complexes.

Dans le même temps, la sphère numérique est désormais submergée par une multitude de producteurs de contenu – sources d’informations institutionnelles, praticiens des nouveaux médias, militants, publicitaires, influenceurs, experts en relations publiques et personnalités politiques – qui se disputent l’attention du public. Les valeurs traditionnelles qui sous-tendent les pratiques journalistiques d’impartialité et de vérification sont soumises à une pression accrue du fait de la polarisation sociale et politique. En outre, la consommation d’informations est de plus en plus médiatisée par des plateformes exerçant un contrôle d’accès, qui ont tendance à donner la priorité à d’autres types de contenu et qui, sous la pression de certaines régions, ont commencé à partager certaines recettes avec ceux qui produisent les informations.

Dans ce contexte, la valeur du journalisme comme « bien public » suscite un intérêt croissant. À l’instar d’autres biens publics, le journalisme joue un rôle essentiel dans la promotion d’une sphère civique saine. À cet effet, il fournit aux citoyens les informations et les faits fiables dont ils ont besoin pour participer à une société libre et ouverte. Le journalisme joue à la fois un rôle de chien de garde indépendant et de faiseur d’actualité. Mais pour que le journalisme fonctionne comme un bien public, il doit évoluer dans un environnement viable afin de pouvoir produire des nouvelles et des informations de haute qualité et dignes de confiance. La question du financement public est plus pertinente aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été.

Tendances mondiales et régionales en matière de meurtres de journalistes, 2016-2020

Entre le début de l’année 2016 et la fin de l’année 2020, 400 journalistes à travers le monde ont été tués pour avoir fait leur travail. Il s’agit tout de même d’une baisse de près de 20 % par rapport à la période quinquennale précédente, de 2011 à 2015, au cours de laquelle l’UNESCO a enregistré 491 meurtres. Cette tendance à la baisse demeure toutefois hésitante, les chiffres continuant à augmenter et à diminuer d’année en année. Au cours des cinq dernières années, 2016 a été l’année la plus meurtrière pour les journalistes, puisque 102 d’entre eux ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions ou pris pour cible en raison de leur travail. Un autre pic a été enregistré en 2018, mais a été immédiatement suivi en 2019 du plus faible nombre de journalistes tués en une décennie. Une légère hausse a de nouveau été enregistrée en 2020, lorsque 62 journalistes ont été tués en raison de leur travail. La tendance à la baisse des meurtres de journalistes s’est poursuivie en 2021, année où 55 journalistes ont été tués en raison de leur travail ou pendant l’exercice de celui-ci.

Les journalistes du monde entier sont exposés à des risques mortels. Toutefois, le nombre de meurtres varie fortement d’une région à l’autre. La région Asie et Pacifique ainsi que la région Amérique latine et Caraïbes affichent le nombre le plus élevé de meurtres de journalistes entre 2016 et la fin de l’année 2020 (123 journalistes tués dans chaque région), suivies de la région arabe (90 journalistes tués), tandis que moins d’un quart du nombre total d’assassinats a eu lieu en Afrique, en Europe occidentale et en Amérique du Nord, et en Europe centrale et orientale réunies. Bien que l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord n’aient rapporté que 5 % de la totalité des meurtres survenus de 2016 à 2020, les cinq dernières années ont enregistré une nette augmentation pour la région avec 18 journalistes tués, contre onze meurtres entre 2011 et 2015 et trois meurtres entre 2006 et 2010. La hausse des meurtres dans la région est en grande partie imputable à une fusillade de masse en 2018.

Dans certaines régions, des changements substantiels en matière de sécurité des journalistes ont eu lieu au cours des cinq dernières années. Plus important encore, dans la région arabe, en Afrique et en Europe centrale et orientale, le nombre de journalistes tués a presque diminué de moitié par rapport à la période quinquennale précédente. Dans la région arabe, cette baisse est en grande partie attribuable aux niveaux élevés de meurtres enregistrés auparavant dans les pays en proie à des conflits armés. Si les meurtres de journalistes dans la région restent élevés, les chiffres ont diminué après avoir atteint un pic avant 2016. De même, les conflits sévissant dans certains pays ont entraîné une hausse du nombre de meurtres en Afrique entre 2011 et 2015, tandis que les conflits armés qui ont débuté en 2014 ont entraîné une hausse des chiffres en Europe centrale et orientale.

De 2016 à la fin de l’année 2020, le Mexique, suivi de l’Afghanistan et de la République arabe syrienne, a enregistré le plus grand nombre de meurtres de journalistes. La seule région dans laquelle le nombre de meurtres de journalistes a considérablement augmenté de 2016 à 2020 par rapport à la période quinquennale précédente est la région Asie et Pacifique, qui a enregistré une hausse de 31 %.

Cette évolution des régions les plus meurtrières reflète une tendance notable : au cours des cinq dernières années, la proportion de meurtres de journalistes qui ont été commis en dehors de pays en conflit n’a cessé d’augmenter, passant de 50 % en 2016 à 61 % en 2020. Dans l’ensemble, les meurtres de journalistes ont diminué dans le monde entier mais, au cours des cinq dernières années, le nombre de journalistes tués dans des pays en proie à des conflits armés a diminué de manière plus significative.

Les journalistes de télévision constituent de loin le groupe le plus attaqué parmi les journalistes, avec 134 décès de journalistes, soit 34 %, au cours des cinq dernières années (illustration 4-6). Les journalistes qui couvrent les conflits sont particulièrement vulnérables et courent un risque élevé d’être tués dans des tirs croisés ou directement visés. Depuis 2016, les journalistes de la presse écrite représentent le deuxième groupe le plus vulnérable (22 %), suivi des journalistes radio (20 %).

Au cours de la période quinquennale précédente, de 2011 à 2015, les journalistes de télévision et de la presse écrite étaient représentés à des niveaux quasiment aussi élevés parmi les victimes de violences mortelles (148 journalistes de la presse écrite et 147 journalistes de télévision). Bien que les journalistes de la presse écrite semblent donc à présent moins vulnérables, ce changement perçu peut être dû à l’augmentation du nombre de journalistes travaillant désormais sur plusieurs plateformes, et non plus uniquement dans la presse écrite.

Parmi les 400 journalistes tués de 2016 à 2020, 22 étaient des étrangers ; la grande majorité des journalistes tués l’ont été dans leur pays de nationalité. De fait, au cours des deux dernières années, un seul journaliste par an a été tué alors qu’il travaillait à l’étranger. Comme le souligne une récente note thématique de l’UNESCO, publiée dans le cadre de la série des rapports sur les tendances mondiales, le faible nombre de journalistes étrangers parmi les victimes mortelles peut être lié au fait que les médias internationaux recourent de plus en plus aux reportages de journalistes locaux.

Tendances mondiales et régionales des niveaux d’impunité pour les crimes contre les journalistes

L’impunité pour les meurtres de journalistes demeure une préoccupation persistante dans le monde entier, car elle constitue à la fois un obstacle à la sécurité des journalistes et un facteur d’autocensure paralysant. Si les meurtres de journalistes ont diminué, le taux d’impunité global est resté très élevé, et près de neuf affaires sur dix  (87 %) de meurtres de journalistes ne sont toujours pas résolues.

Une recherche originale commandée par l’UNESCO en 2021 confirme ce que beaucoup soupçonnent depuis longtemps : au niveau national, les meurtres de journalistes et les taux d’impunité sont généralement proportionnels, et les taux élevés de décès sont associés à des taux élevés d’impunité. Comme les homicides de journalistes ne sont pas résolus et demeurent impunis, peu de moyens sont disponibles pour dissuader la menace continue de la violence.

En outre, l’analyse révèle qu’il n’existe aucune corrélation claire entre l’impunité pour les meurtres de journalistes et l’impunité pour les autres crimes dans le pays. De même, bien que certains puissent supposer que les meurtres de journalistes sont en corrélation avec le niveau général des homicides dans un pays donné, l’analyse effectuée par l’UNESCO pour le présent Rapport montre que ce n’est souvent pas le cas. Au contraire, le meurtre de journalistes – et l’impunité pour ce crime – est un problème unique dans le monde, ce qui renforce le caractère intentionnel manifeste du ciblage des professionnels des médias.

Conformément à la décision 196 EX/31 du Conseil exécutif de l’UNESCO, et en accord avec le mandat du Conseil intergouvernemental du Programme international pour le développement de la communication de l’UNESCO, cette dernière collecte chaque année des données afin de surveiller l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes. En conséquence, chaque année, les États sont invités à rendre compte de l’état d’avancement des enquêtes en cours sur les affaires concernant des journalistes tués. Leurs réponses sont enregistrées dans les catégories « résolue », « en cours/non résolue », ou « aucune réponse ».

En  2021, l’UNESCO a envoyé des demandes d’information sur les affaires non résolues à 64 États150 et a reçu une forme de réponse de la part de quarante d’entre eux (63 %), soit une diminution par rapport aux 71 % observés en 2020 (45 États sur 63). Depuis 2016, le taux de réponse a fluctué mais est resté supérieur à 60 % chaque année, avec des pics en 2017 et 2020. En outre, en 2021, 30 États (47 %) ont fourni des informations spécifiques sur le statut des enquêtes judiciaires concernant les journalistes tués. Les dix autres États qui ont fourni une réponse ont accusé réception de la demande mais n’ont pas fourni d’informations concrètes sur le statut ou sur la progression des affaires.

Le niveau mondial d’impunité demeure élevé

Au 31 décembre 2020, un total de 1 229 journalistes avaient été tués depuis que l’UNESCO avait commencé à surveiller systématiquement les meurtres de journalistes et l’impunité en 2006. Parmi ceux-ci, 163 affaires (13 %) sont désormais considérées comme entièrement résolues, soit le même taux de résolution que celui enregistré l’année précédente. Parmi les affaires restantes, 706 sont considérées comme étant en cours ou non résolues, et l’UNESCO n’a reçu aucune information sur le statut de 360 affaires.

La région arabe enregistre le plus haut niveau d’impunité, comme les années précédentes, avec 98 % des affaires considérées comme non résolues. Cependant, un certain nombre d’États de la région arabe n’ont jamais soumis d’informations sur certaines affaires à l’UNESCO, et une grande partie des affaires « non résolues » sont celles qui n’ont pas été signalées.

La région où le niveau d’impunité pour les meurtres de journalistes est le plus élevé est la région arabe, suivie de l’Asie et du Pacifique (89 % des affaires non résolues) et de l’Afrique (87 %). L’Amérique latine et les Caraïbes (67 %), l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord (53 %), et l’Europe centrale et orientale (52 %) enregistrent des niveaux d’impunité plus faibles (illustration 4-10). Pourtant, même en excluant les affaires pour lesquelles aucune information n’a été reçue, plus de la moitié des affaires enregistrées par l’UNESCO sont considérées comme étant en cours ou non résolues.

Les deux régions présentant les plus faibles niveaux d’impunité sont également les deux seules régions dans lesquelles les États Membres ont fourni des informations à l’UNESCO sur toutes les affaires enregistrées par l’Organisation.  

Dans le cadre de la demande annuelle, les États sont également invités à fournir des informations sur « les mesures positives prises pour traiter de la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, notamment les actions prises pour surveiller et faire face aux risques sexo spécifiques, afin de partager les bonnes pratiques ». En 2021, 28 États ont fait état de mesures prises pour renforcer la sécurité des journalistes et onze États ont indiqué avoir pris des mesures spécifiques pour assurer la sécurité des femmes journalistes (évoqué plus loin dans ce chapitre). Dix-huit des 40 États qui ont répondu à la demande de la Directrice générale en 2021 ont également donné l’autorisation de publier des documents officiels en ligne sur l’Observatoire UNESCO des journalistes assassinés.

Autres attaques et menaces contre des journalistes

Les journalistes continuent d’être victimes de toute une série de tactiques de répression : agressions physiques non mortelles, enlèvements, détentions arbitraires, menaces, harcèlement hors ligne et en ligne, et représailles contre les membres de leur famille. Toutes ces attaques constituent une menace considérable pour la capacité des journalistes à accomplir leur travail essentiel et à servir le droit des gens à l’information.

Dans ce contexte, l’indicateur 16.10.1 des objectifs de développement durable englobe les cas de meurtres, d’enlèvements, de disparitions forcées, de détentions arbitraires et d’actes de torture dont ont été victimes des journalistes, des personnes travaillant dans les médias, des syndicalistes et des défenseurs des droits de l’homme.

Les métadonnées pour cet indicateur comprennent également une référence à la mesure d’« autres actes dommageables » commis à l’encontre de ces personnes. Des déclarations récentes au niveau international ont appelé à un renforcement des mécanismes de surveillance des attaques non mortelles contre les journalistes. En 2018, le Conseil intergouvernemental du Programme international pour le développement de la communication a invité la Directrice générale de l’UNESCO à améliorer «  le suivi actuel en collaboration avec l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU), lorsqu’il y a lieu, afin d’aligner et de renforcer les synergies avec la méthodologie de l’Examen périodique universel (EPU) et le suivi global de l’ODD 16.10.1151 ».  En 2020, le Conseil intergouvernemental du Programme international pour le développement de la communication a encouragé les États membres à nommer un point focal sur les questions de la sécurité des journalistes et de l’impunité.  Le Conseil des droits de l’homme, lors de sa 45e session en 2020, a exprimé sa profonde inquiétude et a condamné sans équivoque « toutes les attaques, actes de représailles et violences commises contre les journalistes et les professionnels des médias », y compris les attaques non mortelles. La Déclaration de Windhoek+30, adoptée lors de la conférence mondiale de la Journée mondiale de la liberté de la presse en 2021, s’est dite alarmé « par les risques, anciens et nouveaux, qui menacent la sécurité des journalistes et le libre exercice du journalisme, notamment les assassinats, le harcèlement des femmes, les attaques hors ligne et en ligne, l’intimidation et le climat de peur, les détentions arbitraires ».

Outre l’environnement peu sûr auquel ils ont été confrontés au cours des cinq dernières années, les journalistes ont été de plus en plus stigmatisés et dénigrés dans les discours publics, parfois par des personnalités politiques. Comme l’a noté le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, ce phénomène « accroît le risque de menaces et de violences contre des journalistes et sape la confiance du public à l’égard du journalisme et la crédibilité de celui-ci ».

Des journalistes réduits au silence par des disparitions forcées, des enlèvements et des détentions arbitraires

Si les meurtres restent la menace ultime contre la sécurité des journalistes, les disparitions forcées, les journalistes portés « disparus » et les détentions arbitraires constituent des préoccupations urgentes pour protéger la sécurité des journalistes et leur capacité à exercer leur métier. Selon Reporters sans frontières, dix journalistes ont été portés disparus entre 2016 et fin 2020156. Des journalistes continuent également d’être pris en otage par des acteurs non étatiques : Reporters sans frontières a fait état de 54 journalistes retenus comme otages en 2020, contre 57 en 2019, 60 en 2018 et 54 en 2017. Tous les incidents se sont produits dans des pays en proie à un conflit armé, la grande majorité d’entre eux ayant eu lieu dans la région arabe. Au niveau mondial, les journalistes contraints à l’exil demeurent également un sujet de préoccupation.

La détention arbitraire est une menace permanente pour les journalistes du monde entier. Comme le définissent les métadonnées de l’indicateur 16.10.1, la détention est considérée comme arbitraire lorsqu’elle n’est pas conforme aux lois nationales en vigueur, ou lorsqu’elle est jugée injuste ou inutile157. Les autorités nationales justifient généralement l’arrestation et la détention de journalistes en invoquant des motifs d’opposition à l’État, notamment des accusations de terrorisme, d’espionnage et de conspiration. Les lois disproportionnées sur la diffamation, ainsi que la prolifération des cyber-lois et des lois contre les fausses nouvelles (« fake news »), ont également servi à emprisonner des membres des médias.

En 2020, le Comité pour la protection des journalistes a enregistré au moins 280 cas de journalistes emprisonnés – il s’agit du nombre le plus élevé depuis 1992159. Parmi ceux-ci,

 184 journalistes (67 %) étaient détenus pour des motifs d’« opposition à l’État » et 34 journalistes (12 %) avaient été emprisonnés en raison d’accusations relatives à de fausses nouvelles (« fake news »). Reporters sans frontières, qui inclut également le personnel de soutien aux médias dans ses rapports, a enregistré 389 cas de journalistes et de travailleurs des médias emprisonnés en 2019 et 387 en 2020, notant également des niveaux historiquement élevés. L’organisation a également indiqué que plus de la moitié des journalistes emprisonnés dans le monde (61 %) en décembre 2020 sont détenus dans seulement cinq pays d’Asie et du Pacifique ainsi que de la région arabe. Les conditions de détention des journalistes ont conduit le Comité pour la protection des journalistes et Reporters sans frontières à signaler des cas de mauvais traitements, de négligence et parfois de torture. Ces dernières années, un certain nombre de journalistes sont morts en prison, ce qui a suscité des demandes d’enquêtes supplémentaires de la part de l’UNESCO et d’autres organismes internationaux, ainsi que des défenseurs de la liberté d’expression.

Coup de projecteur sur les menaces contre les journalistes

Outre les types de violence explicitement mentionnés dans l’indicateur 16.10.1 relatif à l’objectif de développement durable n° 16, les journalistes sont confrontés à d’autres problèmes menaçants ayant des effets sur leur sécurité physique et psychologique, notamment des menaces de violence hors ligne et en ligne. Une étude récente de Reporters sans frontières a montré que, sur les 139 journalistes tués entre 2011 et fin 2020 dans les quatre pays d’Amérique latine et des Caraïbes, 41 % avaient reçu des menaces avant d’être assassinés.

Les Nations Unies ont reconnu la nécessité de répondre aux menaces contre les journalistes avec la pleine force de la loi et, en mars 2021, le 14e Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale a adopté sa déclaration finale, appelant les États Membres à « [e]nquêter sur les menaces et les actes de violence, lorsqu’ils relèvent de leur juridiction, qui sont commis à l’encontre de journalistes et de représentants des médias, […] en vue de mettre fin à l’impunité pour les crimes commis à l’encontre de ces personnes ». En 66 ans d’existence, c’était la première fois que le Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale reconnaissait les menaces spécifiques auxquelles sont confrontés les journalistes, en lien également avec le rôle des journalistes dans la mise au jour de la criminalité et de la corruption.

Cette nécessité a également été soulignée par des résolutions antérieures adoptées par divers organes des Nations Unies, notamment le Conseil des droits de l’homme, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité. Par exemple, la résolution A/HRC/RES/33/2, adoptée par le Conseil des droits de l’homme en 2016, a appelé les États membres à « élaborer et [à] mettre en œuvre des stratégies de lutte contre l’impunité entourant les attaques et la violence contre les journalistes » au moyen de mesures telles que la création d’unités d’enquête spéciales, la désignation de procureurs spécialisés, la mise en place de mécanismes de surveillance et de réponse rapide, et la formation des membres du système judiciaire aux questions touchant la sécurité des journalistes.

Dans son rapport de 2019 au Conseil des droits de l’homme sur l’enquête sur le meurtre de Jamal Khashoggi, la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a recommandé de créer un instrument permanent pour la réalisation des enquêtes pénales sur les allégations d’assassinats ciblés ou d’autres actes de violence contre les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme ou d’autres personnes prises pour cible pour s’être livrés à des activités pacifiques ou pour avoir exprimé de manière pacifique leurs opinions, et a déclaré que cet instrument devrait enquêter sur ces violations, conformément aux normes du droit pénal ; déterminer les voies possibles pour l’administration de la justice aux niveaux national, régional et international ; préparer des dossiers pour faciliter et accélérer des procédures pénales équitables et indépendantes ; définir d’autres mécanismes pour rendre la justice et mettre fin à l’impunité, y compris aux niveaux politique et diplomatique.

Sécurité des journalistes couvrant les manifestations

L’UNESCO a observé une tendance préoccupante à l’augmentation des attaques contre les journalistes qui couvrent les manifestations, émanant de sources multiples, y compris les forces de sécurité et les participants aux manifestations. De janvier à août 2021, l’UNESCO a enregistré des attaques contre des journalistes en lien avec la couverture de protestations, de manifestations et d’émeutes dans au moins 60 pays du monde entier. Dans certains cas, l’attaque était dirigée contre un seul journaliste ; dans d’autres cas, plusieurs journalistes étaient visés. Depuis 2015, au moins 13 journalistes ont été tués alors qu’ils couvraient des manifestations.

Une grande majorité de ces actions ont été perpétrées par les forces de sécurité et comprenaient des attaques telles que des passages à tabac, l’utilisation de gaz lacrymogènes et des arrestations arbitraires. Dans le même temps, un nombre important d’attaques contre des journalistes ont été perpétrées par des citoyens participant aux manifestations, y compris des attaques physiques et verbales. Les journalistes ont également été menacés de perquisitions dans les locaux des médias et de destruction physique du matériel journalistique en représailles à la couverture des manifestations.

Il n’existe à ce jour aucun mécanisme de surveillance mondial des attaques contre les journalistes couvrant les troubles civils. Dans les pays où il existe des mécanismes de surveillance nationaux, un niveau élevé d’attaques a été enregistré, ce qui suggère la possibilité d’un sous-signalement important dans les autres pays.

Violence contre les femmes journalistes

Ces dernières années, la société civile, les chercheurs et les organismes internationaux ont de plus en plus reconnu l’ampleur et l’incidence de la violence à l’égard des femmes journalistes – en ligne et hors ligne, verbale, visuelle et physique. De nombreuses femmes journalistes déclarent avoir subi des violences physiques et en ligne perpétrées par des collègues, des sources, des personnalités publiques, des auteurs anonymes et des inconnus. Cette violence, sous ses nombreuses formes, constitue une menace pour la diversité dans les médias, ainsi que pour l’égalité de participation à la délibération démocratique et le droit du public à accéder à l’information.

De 2016 à 2020, 37 femmes journalistes ont été tuées, ce qui représente environ 9 % du total de 400 meurtres enregistrés au cours de ces cinq années. Cette proportion est conforme à celle des années précédentes. Les recherches effectuées au niveau mondial sur les raisons pour lesquelles les femmes journalistes sont sous-représentées parmi les victimes mortelles font encore défaut. Dans certains cas, les femmes journalistes peuvent être moins impliquées dans les sujets traditionnellement dangereux : selon l’Étude mondiale sur l’image des femmes dans les médias, les femmes reporters étaient moins susceptibles de couvrir les sujets « Criminalité et violence » (33 % de femmes) et « Politique et gouvernement » (35 % de femmes).

En outre, dans de nombreux pays, les femmes sont exclues des postes de responsable de rédaction et de direction. Cela signifie que les questions qui touchent les femmes journalistes, telles que la violence misogyne en ligne, peuvent également être moins susceptibles d’être prioritaires au niveau de la prise de décision, sans oublier le fait que les femmes journalistes sont confrontées à des défis spécifiques liés à la violence fondée sur le genre qui peuvent aller au-delà des conceptions traditionnelles de la sécurité des journalistes.

Sécurité des journalistes pendant la pandémie de COVID-19

La crise sanitaire de la COVID-19 a engendré de nouveaux défis pour la sécurité des journalistes et a considérablement intensifié les défis existants. En couvrant la pandémie et ses répercussions sur le terrain, les journalistes prennent inévitablement le risque d’être exposés au virus, et nombre d’entre eux (notamment les indépendants) ne disposent pas d’équipements de protection, de formation en matière de sécurité sanitaire ni d’accès aux soins. L’organisation non gouvernementale Press Emblem Campaign a enregistré au moins 1 967 décès de journalistes ayant contracté la COVID-19 entre le 1er mars 2020 et février 2022.

De nombreux travailleurs des médias chargés de couvrir la pandémie ont subi un stress et un traumatisme psychologiques, tant en raison de la nature de la mission que de l’insécurité de l’emploi causée par l’instabilité financière croissante de nombreux médias. La perte de revenus a mis en péril l’emploi de nombreux journalistes et constitue une menace grave pour l’existence même de nombreux médias indépendants.

En outre, les professionnels des médias du monde entier ont été victimes de harcèlement, de persécution et de détention en raison de leur travail d’information des citoyens sur la crise. Certains d’entre eux ont été accusés de diffuser de la désinformation lors de reportages sur la pandémie et sur les réponses des gouvernements à la crise. Dans certains des cas les plus graves, des journalistes ont été agressés physiquement par des manifestants anti-vaccination, ainsi que par des représentants du gouvernement et les forces de sécurité, ou emprisonnés pour avoir couvert les marchés publics passés dans le cadre de la pandémie. Bon nombre de ces accusations ou arrestations ont été fondées sur des lois existantes. En outre, dans certains pays, les gouvernements ont introduit de nouvelles mesures juridiques dont la formulation est souvent si large qu’elle criminalise le journalisme légitime. Par conséquent, il existe un risque que la pandémie de COVID-19 entraîne également une augmentation des détentions arbitraires de journalistes. Bien que les représailles liées aux reportages sur la COVID-19 n’aient fait l’objet d’aucun processus exhaustif de suivi ou d’analyse, un rapport a indiqué qu’entre janvier 2020 et juin 2021, au moins 76 journalistes ont subi des représailles après avoir fait des reportages sur la réponse à la COVID-19 ou l’avoir critiquée. Ces représailles comprenaient des accusations d’ordre pénal, des abus physiques et des tortures, des menaces et du harcèlement. Dans son rapport de 2020, Reporters sans frontières a indiqué qu’au 1er décembre 2020, 14 journalistes étaient toujours détenus dans le cadre de leur couverture de la pandémie de COVID-19.

Le Secrétaire général de l’ONU a également exprimé son inquiétude au sujet des journalistes détenus, en particulier au regard de la propagation de la COVID-19 dans les prisons, et a demandé la libération immédiate des journalistes qui ont été détenus pour avoir exercé leur profession.

Activités de l’UNESCO pour promouvoir la sécurité des journalistes

L’UNESCO, en tant qu’organisme des Nations Unies ayant un mandat spécifique pour défendre la liberté d’expression et la liberté de la presse, est le fer de lance de la mise en œuvre du Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité. Ce plan méthodique à l’échelle de l’ONU a été adopté en 2012 dans le but d’œuvrer pour un environnement libre et sûr pour les journalistes et les travailleurs des médias, et en vue de renforcer la paix, la démocratie et le développement. Dans ce cadre, les travaux réalisés par l’UNESCO pour faire progresser la sécurité des journalistes s’articulent autour de six axes : Normalisation et élaboration des politiques ; Sensibilisation ; Suivi et rapports ; renforcement des capacités ; Recherche académique ; création de coalitions.

Synthèse de Rokhaya KEBE

Leave feedback about this

  • Quality
  • Price
  • Service

PROS

+
Add Field

CONS

+
Add Field
Choose Image
Choose Video
WP2Social Auto Publish Powered By : XYZScripts.com
X