mars 14, 2025
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SENEGAL : Opportunités et défis à la production pétrolière et gazière N

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Le Sénégal semble être sur le point de devenir un important producteur d’hydrocarbures (de gaz principalement). Le pays a mené auparavant et continue de mener des activités de production de gaz à petite échelle. Cependant, entre 2014 et 2017, un certain nombre de découvertes gazières importantes ont été réalisées.

Deux projets (Sangomar et Grand Tortue Ahmeyim (GTA)) ont récemment fait l’objet d’une décision finale d’investissement (DFI), et une troisième découverte (Yakaar-Teranga) est également candidate à l’investissement. (Le terme DFI renvoie à la décision des investisseurs de mettre en oeuvre un projet – après cette étape, des engagements financiers importants sont pris). Le Sénégal se prépare donc aux investissements nécessaires à la mise en service de ces projets, et à l’impact d’une augmentation significative des revenus tirés des ressources naturelles.

Les pays sont confrontés à un certain nombre de défis dans la gestion des revenus tirés des ressources naturelles. Dans ce rapport, nous nous concentrons sur certains défis particuliers qui affectent les pays qui se préparent à la production liée aux découvertes pétrolières et gazières. Tout d’abord, l’expérience internationale a montré qu’un certain nombre de pays a succombé à la « pré-malédiction des ressources » qui survient quand un optimisme excessif concernant les bénéfices futurs du secteur fragilise les politiques gouvernementales et conduit à terme à des résultats décevants. Il est donc important de gérer les attentes du public concernant les conséquences de ces découvertes pour l’économie et de résister aux pressions exercées pour s’engager dans des plans d’emprunt, de dépenses publiques ou d’investissement non durables fondés sur des prévisions trop optimistes sur les revenus qui seront tirés de ces ressource. 

La mise en place d’un cadre de gouvernance approprié pour éviter que les revenus ne soient perdus à cause de l’évasion ou de la fraude fiscale et d’une mauvaise gestion pose un certain nombre de défis. Dans le contexte de la pandémie de coronavirus, ces défis sont particulièrement complexes, car les pays sont confrontés à la crainte de perdre des investissements et se demandent s’il faut utiliser leur richesse en ressources pour financer les dépenses temporaires nécessaires à la stabilisation de l’économie Dans ce rapport, nous examinons l’expérience d’autres nouveaux producteurs en Afrique subsaharienne. Ce faisant, nous cherchons à tirer des enseignements qui pourraient être utiles au Sénégal pour éviter certains des principaux écueils fréquemment rencontrés par les nouveaux producteurs de pétrole. Ce rapport est la première publication de NRGI dans le cadre de notre nouveau programme sur le Sénégal. Dans le cadre de ce programme, nous pourrions être amenés à produire d’autres publications qui examineront plus en détail certains aspects spécifiques de la gouvernance des industries extractives du pays.

Ce briefing explore les facteurs qui peuvent contribuer à un excès d’optimisme :

1) la quantité de pétrole trouvée grâce à l’exploration et sesimplications pour les attentes du public 2) la voie vers le démarrage de la production et les risques de retards 

3) les difficultés dans la collecte des revenus et la nécessité d’éviter un « nivellement par le bas ». Nous abordons ensuite les conséquences possibles d’un excès d’optimisme et les moyens de les éviter : 

4) nous nous penchons sur des emprunts à court terme appropriés, compte tenu du contexte actuel 5) nous formulons des considérations pour la mise en place d’un cadre de gestion des revenus pétroliers ) nous examinons les implications pour les ambitions du Sénégal liées à l’utilisation du gaz au niveau national, et nous proposons une conclusion. Dans l’Annexe I, nous donnons un aperçu du degré de transparence des politiques fiscales et de la gouvernance du Sénégal, en nous concentrant sur les domaines qui sont particulièrement pertinents pour la gestion des ressources naturelles. Dans l’Annexe II, nous fournissons des informations générales sur les principaux projets pétroliers et gaziers actuellement en cours de développement au Sénégal.

Gérer les attentes et le débat public

Le Sénégal est un petit producteur de gaz naturel depuis des décennies. Mais depuis 2014, un certain nombre de découvertes importantes de réserves pétrolières et gazières ont été faites. Parmi celles-ci, deux projets majeurs (les champs de Sangomar et de GTA) ont fait l’objet d’une décision finale d’investissement. Le Sénégal a fait sa première grande découverte de pétrole en novembre 2014, lorsque Cairn Energy a découvert le champ de Sangomar. Cette découverte a été présentée comme la plus importante de 2014 au niveau mondial8. Elle a été suivie d’une série de découvertes supplémentaires de pétrole et de gaz, parmi lesquelles se distingue le champ Greater Tortue ou Grand Tortue Ahmeyim(GTA) découvert par Kosmos Energy en 2015. Il s’agit d’un gisement de gaz transfrontalier situé à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, qui a été présenté comme une « ressource gazière de classe mondiale » immédiatement après sa découverte. Rystad Energy estime les ressources pétrolières du Sénégal à plus d’un milliard de barils. Ces ressources ont été trouvées sur de nombreux champs. Parmi ceux-ci, l’opérateur du développement offshore de Sangomar(Woodside) a estimé que le champ produira 231 millions de barils de pétrole pendant la première phase d’exploitation, ce chiffre pouvant passer à 500 millions de barils pour l’ensemble de la durée de vie du champ. Pour le gaz naturel, selon le ministère du Pétrole et des Énergies, le Sénégal dispose de de 50 pourcent des 15 à 20 trillions de pieds cubes (bpc) de gaz initialement en place dans sa moitié du champ transfrontalier de GTA (avec 25 tcf de gaz initialement en place), en plus d’environ 10 à 25 trillions de pieds cubes (tcf) de gaz initialement en place à Yakaar-Teranga. Il est également possible que d’autres champs de pétrole et de gaz soient présents à FAN, Sangomar Profond, et ailleurs. La phase 1 du champ de GTA devrait amener à exporter environ 2,5 millions de tonnes par an (Mtpa) de gaz naturel liquéfié (GNL), dont la moitié pour le Sénégal.

Il est difficile d’interpréter ces chiffres tels quels – ces « chiffres faramineux » peuvent être trompeurs en ce qui concerne l’impact sur les revenus, les investissements et les emplois. Nous comparons donc les estimations de Rystad sur les réserves qu’elles classent comme prouvées et probables (2P) sur une base par habitant à celles d’autres pays d’Afrique subsaharienne pour donner une idée approximative de ce que pourraient signifier les réserves en tenant compte de la population du Sénégal.

La Figure 1 ci-dessous montre que les réserves pétrolières prouvées et probables (pour des découvertes ayant une DFI) du Sénégal par habitant seraient égales à 15 barils par habitant. Cette quantité est d’un ordre de grandeur inférieur à celle des pays d’Afrique les plus riches en pétrole, parexemple la Guinée équatoriale, le Gabon, la République du Congo ou l’Angola. Ses réserves de gaz prouvées et probables sont un peu plus importantes et se situent juste au-dessous de 45 barils équivalent pétrole (bep) par habitant.

En cumulant les réserves pétrolières et gazières qui ont atteint le stade de réserves prouvées et probables (2P), en supposant qu’elles seront toutes extraites au cours des trente prochaines années (un scénario optimiste) et en tenant compte de la croissance démographique du pays, les réserves prouvées etprobables actuelles du Sénégal s’élèvent à moins de 1 bep par habitant et par an.
Les perspectives d’exploration et d’ajout de réserves à l’avenir restent une interrogation, en raison des incertitudes causées par la pandémie de coronavirus et des incertitudes du marché mondial du pétrole. Par exemple, la pandémie a causé d’importantes difficultés opérationnelles pour BP, l’opérateur de GTA, pour faire avancer le projet (bien que celles-ci aient été surmontées) – et pourrait rendre la poursuite de l’exploration plus difficile.
Si la richesse pétrolière du Sénégal n’est pas d’une ampleur suffisante pour augmenter directement les revenus individuels de la population sénégalaise, elle offre certainement une occasion importante de soutenir l’économie par des investissements stratégiques et judicieux. Mais pour ce faire, il est essentiel que le gouvernement tire les leçons des autres nouveaux producteurs africains, qu’il communique clairement sur l’importance des découvertes et contribue à fixer des attentes appropriées pour les citoyens, notamment en évitant les avis trop optimistes selon lesquels elles transformeront l’économie.
Malheureusement, malgré la modestie des revenus tirés des ressources, les hommes politiciens d’autres pays ont souvent fait preuve de peu de retenue dans leur communication sur les découvertes de pétrole et de gaz. Célébrant la découverte géante de pétrole au Ghana en 2007, le président John Kufoura déclaré : « Même sans pétrole, nous nous en sortons vraiment bien […] Avec le coup de pouce du pétrole, nous allons nous envoler ! ». Puis, en 2010, le président John AttaMills a promis que « les ressources pétrolières [mèneraient] le Ghana vers une révolution industrielle dans les 10 prochaines années ». En Tanzanie, lors de sa campagne pour être réélu en 2010, le président Jakaya Kikwete a déclaré à propos de la ville située près de l’une des grandes découvertes de gaz : « Mtwara sera le nouveau Dubaï. » Dix ans plus tard, la réalité est loin d’être à la hauteur de ces déclarations, quel que soit lepays concerné. En particulier, le secteur pétrolier ghanéen est loin d’être transformationnel : la Banque mondiale estime que les rentes pétrolières ne représentaient que 4,7 % du PIB en 2019, dernière année pour laquelle des données sont disponibles. Par ailleurs, la Tanzanie n’a pas encore réussi à obtenir d’investissements dans ses projets gaziers. Même lorsque le gouvernement n’entretient pas des attentes irréalistes, d’autres hommes politiques, des médias ou des simples citoyens peuvent le faire par eux-mêmes. Il est donc important que le gouvernement gère les attentes par une communication précise et réaliste. Malgré l’échec du Libéria à découvrir des ressources pétrolières commercialement viables à ce jour, les bénéfices potentiels du pétrole ont capté l’imagination des citoyens à de multiples reprises. La confusion a éclaté en 2013 lorsque African Petroleum a fait état d’une estimation préforage pour l’un de ses puits de pétrole.
Les médias ont interprété incorrectement le chiffre de 840 millions de barils (mbbl) de ressources récupérables estimées comme si le Libéria allait commencer à produire 840 barils de pétrole par jour. Un autre journal a publié à la une : « Si l’on en croit l’annonce faite la semaine dernière par AfricanPetroleum selon laquelle il existe un énorme gisement de pétrole au large du Libéria, les Libériens n’auront plus jamais à vivre dans une pauvreté abjecte. » Un troisième article affirmait qu’Exxon commencerait la production de pétrole en 2017, alors pourtant que le puits de Mesurado qu’il avait foré l’année précédente était désormais épuisé. Après le forage, la société a annoncé qu’il s’agissait d’une découverte, et il a fallu un certain temps avant qu’elle soit reconnue comme non commerciale. Au Kenya, Tullow Oil a annoncé qu’elle avait découvert du pétrole en 2012. À ce stade, il n’y avait aucun moyen de savoir si la découverte était commercialement viable et même dans le meilleur des cas, il aurait fallu au moins quatre ans avant que le pétrole ne commence à être extrait. Cependant, le mois suivant, les syndicats du secteur public ont fait une demande salariale ambitieuse en conséquence.
Dans plusieurs pays, le gouvernement a tenté de neutraliser une partie de cet enthousiasme irréaliste. Après la confusion autour des résultats de l’exploration au Libéria, la National OilCompany of Liberia (NOCAL) a fait de multiples déclarations publiques pour tenter de clarifier la situation. Elle a même préparé une infographie pour préciser la situation du Libéria sur un calendrier de production pétrolière29. (Voir la figure 3).

Jusqu’à présent, le gouvernement du Sénégal semble avoir été relativement prudent dans ses communications sur l’impact des découvertes pétrolières, et il a adopté une stratégie de communication visant à associer de multiples parties prenantes à une communication responsable sur la richesse pétrolière et gazière du pays. Malgré cela, les médias et les différents commentateurs ont parfois été moins discrets et sont susceptibles de créer des attentes irréalistes. Selon un sondage Afrobaromètre 2019, les Sénégalais sont généralement optimistes quant à la possibilité que les ressources en hydrocarbures du pays puissent alimenter le développement du pays et améliorer leur niveau de vie. Pourtant, il est probable que les bénéfices matériels apportés par le secteur pétrolier resteront modestes, que ce soit par le biais de taxes (voir la section 3) ou de contenus locaux. En communiquant de manière proactive à l’avance, le gouvernement peut contribuer à éviter toute déception populaire ultérieure ou toute accusation selon laquelle la richesse pétrolière aurait été dilapidée.

Se préparer à des retards

En dépit de la pandémie et de la crise économique mondiale, les deux principaux projets pétroliers et gaziers du Sénégal avancent, bien qu’avec un certain retard. Le projet Sangomar a reçu son feu vert en janvier 2020, lorsque le gouvernement a accordé l’autorisation d’exploitation et approuvé le plan d’exploitation de la coentreprise. Pour le projet GTA, un premier obstacle a été franchi en 2018, lorsque les gouvernements de la Mauritanie et du Sénégal ont convenu de partager les ressources, initialement à parts égales. Cette décision a été suivie par la décision finale d’investissement des investisseurs BP et Kosmos Energy en décembre de la même l’année.

La production de pétrole et de gaz au Sénégal devrait commencer en 2023 pour les projets GTA et Sangomar. Cela représente un retard par rapport au premier calendrier proposé par les entreprises pour les deux projets, qui fixait le début de la production à 2021.

Pour démarrer la production, d’importants investissements initiaux sont nécessaires (environ 10 milliards USD répartis entre les champs de GTA et de Sangomar). Le Sénégal a eu la chance d’obtenir une DFI sur ces deux projets avant la pandémie. Mais la pandémie a entraîné des difficultés dans l’avancement des projets. Plus précisément, BP a demandé à l’un de ses sous-traitants de retarder la livraison d’une installation flottante de GNL, en invoquant les perturbations causées par la pandémie (par exemple, les restrictions de quarantaine imposées par le gouvernement) qui ont fait rater au projet la fenêtre météo favorable à la mise en place de la digue protectrice du terminal de liquéfaction du gaz. Ce problème a maintenant été résolu avec un retard d’environ 11 mois par rapport au calendrier initial. Le développement du projet avance bien et devrait être achevé à 50 % d’ici la fin de 2020, ce qui devrait permettre le démarrage de la production de gaz au cours du premier semestre de 2023. En ce qui concerne Sangomar, l’un des partenaires de la coentreprise, FAR, a manqué de fonds et a été contraint de vendre sa participation dans le projet qui avait pris du retard. Malgré ces difficultés, l’opérateur de Sangomar (Woodside) poursuit la passation des marchés pour le projet et a insisté pour que la production démarre en 2023. Selon le gouvernement, l’exécution du projet était terminée à 17,3 % en décembre 2020.

En plus des deux projets en développement, il existe un certain nombre d’autres projets potentiels, dont certaines de taille non prouvée, qui n’ont pas encore obtenu de DFI. La récente volatilité des prix du pétrole et du gaz (due en grande partie à la pandémie de coronavirus) et la transition en cours vers l’énergie renouvelable pourraient rendre plus difficile une mobilisation des investissements en faveur de ces projets (en particulier ceux basés sur le pétrole). L’envergure des plans de la phase 2 de GTA a été récemment réduite. (Voir l’Annexe II pour le contexte des principaux projets pétroliers et gaziers). Cela dit, une analyse récente indique que la demande pour le GNL est forte, ce qui donne à penser qu’il existe des perspectives favorables pour les phases futures de GTA.

Le Sénégal peut s’inspirer de l’expérience d’autres pays pour comprendre le calendrier des projets. En particulier, les projets pétroliers et gaziers exigent des capitaux considérables et sont difficiles à mettre en oeuvre. C’est la raison pour laquelle tant de projets ne sont pas prêts dans les délais et le budget impartis, comme l’indiquent les études du secteur. NRGI a examiné les calendriers des projets pétroliers et gaziers de 12 nouveaux producteurs en Afrique subsaharienne depuis 2000. Il a constaté que si les calendriers initiaux des huit pays prévoyaient que la production commencerait en moyenne 6,4 ans après la découverte, même si les calendriers les plus récents sont respectés, la moyenne serait en fait de 11 ans. Les différences sont plus marquées pour le pétrole (prévision de 4,8 ans contre 10,2 ans pour le délai réel ou l’estimation la plus récente) que pour le gaz (prévision de 8,1 ans contre 11,9 ans pour le délai réel ou l’estimation la plus récente). Dans la figure 4 ci-dessous, tous les projets au-dessus de la ligne à 45 degrés connaissent des retards. 

Beaucoup des projets pétroliers et gaziers ci-dessus, en particulier ceux situés en Afrique orientale et australe, ont connu des retards avant d’obtenir une DFI. Notre étude suggère également que la chute des prix du pétrole en 2014 a été une cause majeure de retard. Les problèmes transfrontaliers ont également été un facteur de complication. Par exemple, les projets gaziers qui font intervenir des oléoducs à cheval sur plusieurs pays ont été retardés, ainsi que le champ de Tweneboa-Enyenra- Ntomme (TEN) au Ghana, qui a démarré sa production deux ans plus tard que prévu en raison d’un conflit frontalier maritime avec la Côte d’Ivoire.

Le risque de retards reste d’actualité pour le Sénégal. Après le déclenchement de la Pandémie, les prix du pétrole sont tombés à des niveaux jamais vus au cours des deux dernières décennies, et les perspectives à moyen terme des marchés du pétrole et du gaz restent incertaines. Bien que les prix se soient redressés depuis, la volatilité observée ces derniers temps, ainsi que la transition en cours vers les énergies renouvelables, pourraient ralentir les prises de décision à l’égard d’investissements dans des projets en attente de DFI, voire dissuader les investisseurs concernés de les concrétiser. Bien que les retards sur les deux projets ayant fait l’objet d’une DFI aient été jusqu’à présent plus modérés qu’ailleurs (et les entreprises ont montré leur engagement à l’égard de la première phase et ciblent la DFI pour une phase 2 (réduite) de GTA à la fin de 2022), les risques restent élevés, compte tenu de la complexité de l’exécution des projets. En outre, Kosmoset BP (les deux sociétés impliquées dans les projets GTA et Yakaar-Teranga) ont toutes deux annoncé des politiques environnementales ambitieuses. Bien que celles-ci puissent s’accompagner d’un changement d’orientation en faveur du gaz comme alternative moins polluante au pétrole, la modélisation de Kosmos, qui a analysé les conséquences potentielles de ces mesures environnementales dans le cadre de son récent rapport sur les risques climatiques et la résilience, montre une baisse de la valeur actuelle nette de leurs actifs au Sénégal dans le cadre de leur scénario de développement durable. Une baisse de la valeur des actifs pourrait entraîner une plus grande incertitude quant à l’avancement des projets ou une diminution des recettes publiques. Il reste à voir dans quelle mesure ces entreprises sont déterminées à conserver leurs actifs Yakaar-Teranga sur le long terme.

Perception des revenus tirés des ressources naturelles : Éviter les allègements fiscaux et protéger la base d’imposition

Les recettes fiscales constituent la principale source de bénéfices des projets pétroliers et gaziers55. Le Sénégal a introduit de nouveaux régimes fiscaux pour le pétrole (en 2019) et le gaz (en 2020). Cependant, les principaux projets pétroliers et gaziers du pays sont liés à des contrats comportant des clauses de stabilisation fiscale, ce qui signifie que le précédent Code des impôts (à partir de 1998) s’appliquera, ainsi que des dispositions spécifiques de partage de la production qui varient d’un projet à l’autre. KosmosEnergy et le ministère du Pétrole et des Énergies ont publié sur internet les contrats signés. (Voir Annexe II). Une évaluation indépendante du niveau d’imposition et de la part du gouvernement dans les revenus (en tenant compte à la fois de la part directe et des intérêts détenus via Petrosen) du projet Sangomar a jugé ces dernières relativement faibles par rapport aux normes internationales. Les termes fiscaux pour le GTA pourraient être plus favorables à l’État.

La forte volatilité que montrent les prix du pétrole et la baisse attendue des prix à l’avenir en raison de la transition énergétique pourraient mettre les gouvernements sous la pression des entreprises pétrolières pour qu’elles accordent des concessions fiscales au secteur. Mais en ce qui concerne les projets qui sont déjà en cours, les effets de ces avantages sont discutables. Il est peu probable que les investisseurs abandonnent un projet qu’ils ont déjà remporté et dans lequel ils ont investi.

Cependant, de nouveaux projets qui n’ont pas encore fait l’objet de DFI pourraient être confrontés à de nouvelles difficultés à la lumière des incertitudes auxquelles le secteur est confronté. La figure 5 ci-dessous compare les prix d’équilibre économique dans plusieurs pays (dont le Sénégal). Il montre que les futurs projets du Sénégal (par exemple, les phases futures de Sangomar et d’autres de la région de Rufisque, de Sangomar et de Sangomar Deep) sont relativement plus élevés avec une moyenne de 50 dollars le baril, ce qui les mettra en danger dans un scénario de transition énergétique rapide. Mais si des périmètres d’exploitation leur étaient octroyées actuellement, ceci mettrait en péril des revenus futurs pendant des décennies en cas de hausse des prix (à moins que les concessions ne soient explicitement prévues pour être temporaires).

L’expérience d’autres pays en matière de perception des impôts est également riche d’enseignements pour le Sénégal. Au Ghana, les revenus pétroliers ont été inférieurs de moitié à ce qui avait été prévu par la Banque mondiale pour la période 2011- 2018. L’un des principaux facteurs de la baisse des revenus a été l’augmentation des coûts de développement du projet pétrolier initial, ainsi que les déductions sur les frais encourus par le même groupe de compagnies pétrolières pour différents projets ultérieurs. En outre, les audits des coûts réalisés par le gouvernement ont souffert de retards au démarrage, d’ambiguïtés juridiques, de chevauchements de mandats d’audit, de lacunes dans l’expertise nécessaire et d’un manque de transparence. Lorsque les pays ne disposent pasdes capacités nécessaires pour effectuer des contrôles fiscaux efficaces, il existe un risque accru que les entreprises extractives gonflent systématiquement les coûts encourus par les fournisseurs d’un même groupe pour transférer les bénéfices hors du pays (bien que NRGI ne dispose d’aucune information sur la question de savoir si cela se produit actuellement  au Sénégal). Le gouvernement sénégalais et Petrosen (la compagnie pétrolière nationale) devraient donc s’assurer qu’ils disposent des capacités adéquates pour auditer le secteur pétrolier et gazier bien avant que les revenus ne commencent à être versés (d’autant plus que de nombreux coûts sont engagés avant l’extraction du pétrole et du gaz, et qu’une fois que l’extraction commence, il peut être trop tard pour auditer les coûts). À cet égard, les autorités sénégalaises souhaiteront peut-être faire appel à une aide extérieure pour renforcer les capacités nationales. Elles ont déjà établi un contrat avec une entreprise pour vérifier les coûts d’extraction pour les entreprises, mais le renforcement des capacités internes de Petrosen à cette même fin pourrait être avantageux. Une coordination et un partage d’informations solides entre les agences gouvernementales sont également importants.
Faire preuve de prudence dans les emprunts en cas d’incertitude sur les revenus
Il est toujours important de bien comprendre les revenus probables de tout projet d’extraction en fonction de différents scénarios, car cela aide le gouvernement hôte à planifier les dépenses actuelles et futures, ainsi que les emprunts nécessaires pour prendre en charge ces dépenses, afin qu’elles soient durables compte tenu du niveau des ressources futures attendues. Cela est particulièrement vrai au Sénégal, dans la mesure où le pays dispose d’un programme d’investissement public ambitieux. Bien que ce programme ait été ralenti en raison de la pandémie de coronavirus, il sera important de bien comprendre l’ampleur de la richesse en ressources pétrolières et gazières pour s’assurer que la dette du pays reste viable (elle l’est actuellement selon le FMI). Dans une publication de 2019, le FMI fournit des estimations détaillées des recettes publiques, bien que dans le cadre d’un seul scénario, c’est-à-dire qu’il n’estime pas les revenus pour différentes valeurspossibles de paramètres clés. Selon ce scénario, les revenus pétroliers des deux projets passeront d’un niveau initial de 0,5 % du PIB à 3 % du PIB pendant le pic de production, ce qui représentera 6 à 16 % du total des recettes publiques hors ressources entre 2022 et 2050. La projection du FMI repose sur un prix du pétrole de 60 USD le baril. Les derniers documents du programme du FMI de juillet 2020 prévoient toujours des revenus pétroliers situés entre 140 et 200 milliards de FCFA (environ 0,8 % du PIB) pour la période 2023-2025. Toutefois, le cadre budgétaire pluriannuel du Sénégal prévoit que les revenus seront très modestes au cours des deux premières années de production (0,05 % et 0,08 % du PIB respectivement la première et la deuxième année).
Il existe de grandes incertitudes quant au prix du pétrole dans le futur. Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, le prix à long terme du pétrole devra être nettement inférieur au prix prévu par le FMI, avec des estimations récentes allant de 50 $ le baril à 38 $ le baril. Un rapport récent d’OpenOil a examiné un scénario pour le Sénégal, dans lequel les prix du pétrole diminuent progressivement pour passer à moins de 20 USD par baril à la fin des années 2030. Par ailleurs, d’autres prévisionnistes s’attendent à des prix du pétrole robustes, allant même jusqu’à 72 $ si les gouvernements ne dépassent pas les politiques actuelles en matière de lutte contre le changement climatique.
Dans le contexte actuel, l’incertitude quant aux prix du pétrole est donc élevée et, ainsi donc, le risque de baisse des revenus est important. Les projets pétroliers et gaziers du Sénégal ont des prix d’équilibre économique relativement élevés. (Voir la figure 5) Si les prix diminuent de nouveau, alors que les entreprises sont susceptibles de poursuivre des projets conformément à leurs investissements passés et à leurs obligations contractuelles, même après avoir pris des mesures pour réduire les coûts, elles constateront une baisse des bénéfices de ces projets. L’impôt sur les sociétés, principale source de revenus du gouvernement, dépend également de la rentabilité des projets et sera probablement fortement affecté.
D’autres pays ont emprunté de manière excessive en se basant sur des attentes démesurées par rapport aux revenus tirés des ressources naturelles, un phénomène que nous appelons la « pré-malédiction des ressources ». Le Ghana a augmenté ses emprunts peu après le début de l’exploitation de son pétrole en 2010. Il a utilisé les revenus provenant des grandes émissions d’euro-obligations en grande partie pour ses dépenses ordinaires. Cinq ans plus tard, les revenus pétroliers s’étant révélés décevants, le pays a dû demander un renflouement au FMI. Le Mozambique a également contracté de nombreux emprunts importants, dont certains sans approbation de l’Assemblée nationale, à la suite de découvertes géantes de gaz au large des côtes. Il est ensuite entré en cessation de paiement en 2017 parce qu’il n’était pas en mesure d’assurer le service de la dette, après que ses projets gaziers aient subi d’importants retards. Le Tchad a également dû restructurer à deux reprises un prêt adossé à des ressources naturelles de 2014 en raison d’un prix du pétrole plus bas que prévu.
Le gouvernement devrait donc éviter les programmes d’investissement trop ambitieux qui deviendront inabordables si les revenus pétroliers sont plus faibles que prévu. À son crédit, le gouvernement sénégalais semble convenir de la nécessité d’être prudent dans les investissements provenant des revenus tirés des ressources pétrolières et gazières : par exemple, dans un récent prospectus obligataire, le ministère des Finances s’est engagé à ne pas investir sur la base des revenus tirés des ressources pétrolières et gazières tant que les projets en question n’ont pas fait l’objet d’une DFI. En outre, pendant la crise du coronavirus, le gouvernement Sénégalais a suspendu certains plans d’investissement publics (plutôt que de procéder à des emprunts supplémentaires pour les poursuivre), ce qui témoigne une fois de plus de sa prudence en matière de gestion budgétaire.
Cependant, la dette publique du Sénégal est en augmentation (bien que la plupart du temps en conformité avec les tendances préexistantes) depuis le début des récentes découvertes d’hydrocarbures en 2014 (voir la figure 6 ci-dessous). La plupart des emprunts supplémentaires depuis 2014 ont été effectués sous la forme d’une dette extérieure non concessionnelle, principalement des euro-obligations. Ces formes de dette tendent à s’accompagner de taux d’intérêt plus élevés et d’échéances pluscourtes, ce qui accroît la vulnérabilité liée à l’endettement.

De plus, en raison de l’impact de la pandémie de coronavirus, le Sénégal a dû emprunter de manière significative en 2020, et le FMI a estimé le déficit à 6,5 % du PIB. Cette situation pourrait être aggravée par la décision de Petrosen, en août 2020, d’augmenter sa participation dans Sangomar de 10 à 18 %, ce qui signifie que la compagnie pétrolière nationale devra couvrir une part plus importante des dépenses engagées à ce jour. Le FMI estime que la part d’investissement de Petrosenpour la première phase du projet GTA (dans laquelle Petrosena une participation de 10 %) et Sangomar s’établira à plus d’un milliard USD. Les conditions et les taux d’intérêt auxquels Petrosen empruntera les fonds pour financer sa part des projets sont inconnus (bien que tout nouvel emprunt de Petrosen doive être autorisé par le biais du budget national). Un rapport récent de NRGI explore plus largement les questions liées à l’endettement des compagnies pétrolières nationales.

La crise économique actuelle exerce une forte pression sur le budget de l’État sénégalais, comme dans beaucoup de pays. Dans ces circonstances, les gouvernements empruntent généralement davantage, dans la mesure du possible, pour compenser les diminutions des recettes fiscales et les besoins de dépenses supplémentaires. Mais cela devrait rester une mesure temporaire pour lutter contre la crise (telle la politique actuelle du gouvernement Sénégalais), plutôt que l’adoption d’une politique à plus long terme consistant à emprunter en fonction de futurs revenus des ressources extractives qui restent incertains. A SUIVRE

William Davis et David Mihalyi

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