mai 6, 2024
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Politique

Sénégal : une démocratie sous tension

ANALYSE. Au-delà de la présidentielle dont le premier tour se tient ce dimanche, quel avenir pour ce pays à la croisée des chemins ? L’éclairage de Tidiane Dioh.

Affirmer que c’est un Sénégal profondément divisé qui se rendra aux urnes ce 24 mars est un euphémisme. C’est précisément pour cette raison que la portée de ce scrutin décisif à maints égards gagnerait à être analysée à la lumière des transformations multiples dont la nation sénégalaise d’aujourd’hui, fortement clivée, fait l’amère expérience.

Voilà que depuis près d’une décennie, deux visions de la société sénégalaise s’affrontent en s’ignorant, pendant que s’effondrent progressivement les mécanismes traditionnels de régulation sociale et qu’émerge une radicalisation des modes de contestation violente d’une jeunesse disruptive.

Quand la démocratie vacille…

Dans un pays réputé pour le respect de son calendrier électoral, le report du scrutin par le chef de l’État sénégalais Macky Sall le 3 février, à quelques heures de l’ouverture de la campagne officielle – après que des accusations de corruption ont été portées par le Parti démocratique sénégalais (PDS), formation d’opposition, sur deux juges du Conseil constitutionnel – aurait pu faire basculer le Sénégal dans l’abîme. Car c’est ce contexte inflammable qui déjà avait conduit, au lendemain de la pandémie de Covid-19 et son corolaire de victimes économiques, aux manifestations d’une extrême violence en mars 2021, puis en juin 2023, et causé les dizaines de morts qui peupleront à jamais le mausolée imaginaire des victimes de la démocratie.

L’élection du 24 mars, qui paradoxalement se tient sans les deux acteurs majeurs de la crise – ni Macky Sall, le président sortant, ni Ousmane Sonko, son principal opposant ne sont candidats –, devrait clore, dans les urnes, cette longue et douloureuse séquence de la vie politique sénégalaise. Le retrait des deux protagonistes a, pour ainsi dire, libéré l’espace politique et rebattu les cartes. Pour finir, une loi d’amnistie récemment votée a désengorgé les prisons surpeuplées. La perception d’une justice aux ordres se dissipe progressivement depuis la réaffirmation du Conseil constitutionnel comme arbitre ultime du jeu démocratique : en quelques semaines, à deux reprises, la haute juridiction est allée à rebours de la volonté du chef de l’État à propos de la date de tenue des élections. La réhabilitation du politique est en marche, le dissensus est réel au sein de l’espace public. L’armée est restée dans son rôle. La démocratie sénégalaise tient encore son rang.

Cette crise qui a fait vaciller le Sénégal nous apprend autre chose : l’émergence, singulièrement au lendemain de l’élection présidentielle de 2019, de ces nouvelles forces d’opposition autoproclamées résolument antisystème n’est pas que le reflet d’une radicalité. Elle acte aussi la fin du système triangulaire (socialistes, libéraux et forces de gauche) qui, depuis 1960, a dominé la vie politique sénégalaise.

Repenser le rapport du Sénégal au monde

Le pays a su rester debout même si les lignes de fractures sociales restent profondes. La campagne du premier tour de la présidentielle s’est jouée sur le registre de la moralisation de la vie publique et de l’éthique en politique. La campagne d’un éventuel second tour se ferait autour de la défense de la République et des institutions. C’est dire que plus qu’une querelle entre les « anciens et les modernes », plus qu’une opposition entre les plus jeunes et les plus âgés, ce qui se joue aujourd’hui avec cette élection, c’est un changement de République, qui ne dit pas son nom. Mais quelle que soit l’issue du scrutin, il convient, si l’on veut être rigoureux dans l’analyse, de penser le Sénégal du temps présent au-delà de la présidentielle qui se tient dans un contexte sous-régional et international dominé par une hybridation des menaces, la guerre informationnelle et les désordres de l’information. Partout, « les dividendes de la paix », singulièrement dans la région du Sahel, sont de nouveau réinvestis massivement dans les moyens sécuritaires. Le Sénégal n’y échappera pas. L’exploitation prochaine du gaz et du pétrole ouvre des perspectives nouvelles et expose aussi le Sénégal, qui reste, plus que jamais, un acteur respecté, une puissance diplomatique dont la voix, toujours, est attendue et entendue aux quatre coins du monde. C’est cette part du Sénégal dans le monde et du monde dans le Sénégal qu’il faut préserver. En définitive, qu’il soit élu au premier ou au second tour, le futur président sénégalais, de quelque bord politique qu’il vienne, devra être en mesure de relever un triple défi : être à la hauteur de la fonction ; réconcilier, au-delà de son « camp » un pays divisé et repenser le rapport du pays au reste du monde.

Par Tidiane Dioh, consultant international, pour Le Point Afrique

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