juin 8, 2025
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VERS UNE NOUVELLE RELATION ENTRE L’AFRIQUE ET LA France : Le rapport de l’Assemblée nationale

«L’Afrique a changé. Déjà en 2005, lors de son discours de Brazzaville, le président Jacques Chirac déclarait : « Finissons-en avec les descriptions apocalyptiques de l’Afrique ! Regardons devant nous, au-delà de l’horizon immédiat. Nous voyons une Afrique pleine de promesses, mais aussi une Afrique qui doit surmonter les graves difficultés qu’elle connaît mais elle le peut. ». Tout est dit en quelques mots ». Ce paragraphe sert comme introduction de ce rapport réalisé par l’Assemblée nationale française

L’Afrique : un géant démographique tourné vers l’avenir

L’Afrique, c’est d’abord un continent de quelque 1,4 milliard d’individus doté d’une croissance démographique exceptionnelle : sa population a été multipliée par plus de dix en l’espace d’un siècle et elle pourrait dépasser les 4,2 milliards d’habitants d’ici à 2100, selon les Nations Unies. Dans les années 2040, ce sont 566 millions d’enfants qui devraient y naître, lui permettant de se hisser devant l’Asie en nombre de naissances, et les Africains constitueront le plus grand groupe de personnes en âge d’activité maximale au monde, c’est-à-dire entre 24 et 54 ans (3). Certains États africains sont déjà parmi les plus peuplés de la planète et cette tendance devrait se poursuivre : la population du Nigéria, qui double tous les trente ans, pourrait atteindre 400 millions d’individus en 2050 et peut-être 800 millions en 2100, ce qui en ferait le deuxième pays le plus peuplé au monde après l’Inde et devant la Chine (1).

La jeunesse de sa population rend sa démographie d’autant plus remarquable : 70 % des Africains ont entre 15 et 35 ans. Les populations africaines sont ainsi pleinement tournées vers l’avenir, ce qui n’est toutefois pas sans susciter des conflits autour de l’usage des terres et des ressources, lesquels pourraient s’amplifier, avec des risques durables de déstabilisation de régions entières et de déplacements massifs de populations aux échelles régionale et internationale. L’Afrique devrait donc demain, plus encore qu’aujourd’hui, se situer au coeur des enjeux migratoires mondiaux.

L’Afrique, un continent au fort potentiel économique, malgré la persistance de fragilités et une présence française en recul

À l’échelle continentale, la part de marché relative de la France a décliné, passant de 15 % à 7,5 % entre 2000 et 2020, bien que sa part absolue ait connu une légère hausse due à l’extension du marché africain et à l’arrivée de nouveaux concurrents. La Chine est désormais le premier partenaire commercial de l’Afrique avec 27 % de ses parts de marché, auxquels s’ajoutent plus de 80 milliards de dollars d’investissements directs et 150 milliards de dollars accordés en prêts depuis une vingtaine d’années. Quant à l’UE, elle est le premier fournisseur et débouché des pays membres de la zone CFA. Certains pays européens s’avèrent très bien positionnés sur le continent : l’Allemagne est parvenue à pénétrer le marché africain à un niveau similaire à celui de la France, par exemple. Notons toutefois que les entreprises françaises ont la caractéristique de s’installer localement avec des filiales de droit africain. Les chiffres de ces filiales n’entrent pas dans les statistiques du commerce extérieur mais sont reflétés par l’évolution des investissements directs à l’étranger (IDE) : au regard de cet indicateur, la France occupe la deuxième place en Afrique, derrière la Grande-Bretagne, avec un montant de stock d’IDE de 61 milliards de dollars, alors que la Chine se hisse à la cinquième place « seulement » avec un stock d’IDE de 43 milliards de dollars. La France dispose de nombreux atouts pour développer ses liens économiques avec l’Afrique, qu’il s’agisse du partage de la langue française avec de nombreux pays, du franc CFA encore arrimé à l’euro ou de l’existence d’un droit commun des affaires dans les dix-sept pays membres de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA).

L’essentiel des échanges français se concentre autour de l’Afrique du Sud, de l’Égypte et du Nigeria, trois pays non francophones ; la présence française est moins forte en Afrique australe et non négligeable en Afrique de l’Est, notamment au Kenya, au Mozambique et en Ouganda. Le Nigéria est notre premier partenaire commercial en Afrique subsaharienne, avec un volume d’échanges de 4,5 milliards d’euros en 2019 : la France importe majoritairement des produits pétroliers et y exporte des produits pétroliers raffinés, pharmaceutiques et agroalimentaires. Les entreprises françaises sont également très présentes en Côte d’Ivoire, premier client de la France (1,4 milliard d’euros) en 2021 au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui réunit le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, loin devant le Sénégal (814 millions d’euros). Par ailleurs, malgré un léger recul de ses ventes de 6 % par rapport à 2020, la Côte d’Ivoire est également le principal fournisseur de la France en 2021 (848 millions d’euros), à l’origine de 73 % des importations françaises en provenance de l’Union (2). Au total, l’année 2021 est marquée par une hausse des échanges entre la France et l’UEMOA de 10 % par rapport à 2020, pour atteindre 4,6 milliards d’euros.

Une série de coups d’État en Afrique francophone

Ce nouveau contexte auquel s’ajoutent des contingences locales explique, en partie, la multiplication des coups d’État en Afrique francophone. Ainsi, depuis le 18 août 2020, date du coup d’État contre l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita au Mali, pas moins de sept coups d’État militaires ont eu lieu dans la région, sans compter la prise de pouvoir contestée au Tchad par Mahamat Idriss Deby.

Les régimes militaires sont parfois perçus par les populations locales comme l’ultime remède aux maux que sont la corruption, l’enrichissement personnel de leurs dirigeants, les divisions internes exacerbées, les élections truquées, les services publics abandonnés et leur forte dépendance à l’aide occidentale. Trop souvent aussi, les démocraties contestées sont vues comme soutenues de l’extérieur, par un Occident prédateur dont la France est le bouc-émissaire. Dans les faits pourtant, l’émergence des démocraties en Afrique a été le produit de révoltes populaires contre des régimes militaires considérés comme illégitimes, lesquelles ont abouti aux conférences nationales des années 1990, matrices des démocraties sur le continent. S’y ajoutent, dans le cas du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la crise sécuritaire sahélienne, qui se traduit par l’expansion du djihadisme imputée à la faiblesse des régimes en place : le retour des militaires au pouvoir est alors regardé avec libération.

Le coup d’État au Gabon témoigne quant à lui d’une lassitude à l’égard d’un État corrompu, aux mains d’une même famille depuis des décennies dont la proximité avec la France a perduré sous plusieurs présidents français. Or, ces coups d’État ne sont pas sans inquiéter pour la stabilité du Sahel et, plus largement, de l’ensemble du continent. Les nouveaux régimes peinent à lutter contre la menace djihadiste qui, loin de régresser, progresse partout au point que l’Afrique pourrait voir se constituer, selon Luis Martinez, le prochain califat sur son territoire.

Évolution de la menace terroriste au Sahel à la suite des coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger

Alors que les juntes militaires responsables des renversements des régimes malien, burkinabé, et, plus récemment, nigérien ont invoqué l’incapacité de leurs autorités à endiguer la menace terroriste dans leurs pays comme justification de leur prise de pouvoir, il apparaît toutefois que ces motifs ne survivent pas à l’exercice du pouvoir. En effet, une hausse de la violence djihadiste est observée au Mali et au Burkina Faso depuis les coups d’États militaires de 2021 et 2022, le nombre de morts liés aux groupes islamistes militants africains au Sahel ayant atteint un niveau record au cours de l’année passée.

Les groupes terroristes affiliés au JNIM, l’EIGS et Boko Haram ont en effet profité de l’instabilité politique et du vide sécuritaire engendrés par la prise de pouvoir des juntes malienne et burkinabé, afin d’accroître leur emprise géographique sur le terrain sahélien. Le retrait consécutif de la force française Barkhane et la dégradation des relations entre le Mali et ses partenaires sécuritaires, dont la MINUSMA, ont par ailleurs participé à accroître les libertés de manoeuvres des groupes militants dans la zone.

Ainsi, le nombre d’évènements violents impliquant des groupes terroristes islamistes a doublé au Sahel depuis 2021, tandis que le nombre de décès liés à ces incidents a quasiment triplé, ces derniers se concentrant majoritairement au Burkina Faso et au Mali. Ces pics de violence coïncident ainsi avec les putschs perpétrés dans ces pays.

À ce titre, l’évolution de la menace djihadiste au Burkina Faso depuis les coups d’État de janvier et de novembre 2022 est particulièrement révélatrice. En effet, un « déplacement de l’épicentre de la violence au Sahel » vers le Burkina Faso a été observé, alors que les zones d’action des groupes terroristes dans le pays se sont largement propagées sur le territoire burkinabé, avec une augmentation de 45 % de ces dernières par rapport à la période précédant les putschs. Si le Nord du pays demeure le principal foyer de violence, l’Ouest et l’Est du territoire ont connu une augmentation significative des attaques djihadistes, menaçant à cet égard les pays côtiers du Golfe de Guinée. Ainsi, la junte militaire ne contrôlerait qu’environ la moitié du pays, tandis qu’un encerclement progressif de la capitale, Ouagadougou, par les groupes terroristes pourrait d’autant plus menacer le gouvernement. Le récent coup d’État au Niger inquiète par ailleurs alors qu’une trajectoire similaire à celles du Mali et du Burkina Faso pourrait y survenir. En effet, si la présidence de Mohamed Bazoum avait permis de contenir la menace djihadiste au Niger depuis 2021, une succession d’attaques terroristes a été observée depuis août 2023. Cette situation fait ainsi craindre une dégradation du contexte sécuritaire dans le pays, notamment autour de la zone dite des « trois frontières », tandis que la menace d’une intervention de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a engendré un redéploiement des soldats luttant contre les groupes terroristes sur le terrain au profit de la capitale.

Un partenaire politique dont le soutien n’est plus acquis aux puissances occidentales

De même qu’une partie de l’Afrique cherche à retrouver sa souveraineté et à défendre ses valeurs, son soutien politique, fort de ses 54 États (1), qui constituent autant de voix à l’Assemblée générale des Nations Unies, n’est désormais plus acquis aux puissances occidentales. Le Sénégal, qui exerçait alors la présidence tournante de l’Union africaine (UA), s’est ainsi abstenu lors du vote du 2 mars 2022 de l’Assemblée générale des Nations Unies exigeant que la Russie « retire immédiatement, complètement et inconditionnellement toutes ses forces militaires du territoire de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues ». Il renouvelle cette position lors du vote sur la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, le 7 avril 2022.

On peut toutefois noter que cette neutralité n’est pas entièrement nouvelle, le Sénégal ayant déjà adopté une attitude similaire en 2014, lors du vote sur l’annexion de la Crimée par la Russie. Cela n’a néanmoins pas empêché le président Macky Sall de condamner, le 3 mars 2022, les mauvais traitements infligés aux Africains qui tentaient alors de quitter l’Ukraine pour rejoindre les pays limitrophes. Il avait également demandé la mise en place d’une commission d’enquête internationale sur les allégations de violations des droits de l’Homme en Ukraine (2). L’Ukraine ne s’y est d’ailleurs pas trompée : son ministre des affaires étrangères Dmytro Kuleba a réalisé plusieurs visites sur le continent africain depuis le début de la guerre en Ukraine pour contrer le narratif de son homologue russe Sergueï Lavrov.

La Russie en Afrique : une présence ancienne réactivée

Pendant longtemps, les relations entre la Russie et l’Afrique ont été très distantes : le continent africain était principalement, aux yeux des Russes, la lointaine Éthiopie, ce royaume, disait-on, d’où venait Hannibal, l’esclave noir affranchi par Pierre le Grand et devenu général, arrière-grand-père du grand poète Pouchkine (2). La situation évolua toutefois avec l’avènement de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), même si, paradoxalement, celle-ci découvrit véritablement l’Afrique tardivement, au moment de la décolonisation, qu’elle a largement instrumentalisée au profit de sa stratégie d’influence contre l’Occident, lorsque de nouveaux régimes, libérés de l’influence des puissances coloniales, arrivèrent au pouvoir imprégnés de culture marxiste-léniniste et que l’Afrique devenait, dans ce cadre, un champ de bataille dans la guerre des blocs.

La Russie a ainsi construit son influence en Afrique à travers le soutien aux mouvements de libération pendant la période de la guerre froide : Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud, Front de libération nationale (FLN) en Algérie, Front de libération du Mozambique (FRELIMO), Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU), Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), notamment. Elle a également noué des alliances au-delà des seuls régimes marxistes-léninistes, qu’il s’agisse, par exemple, de l’Égypte nationaliste de Nasser (soutien à la nationalisation du canal de Suez en 1956, livraisons d’armes, traité d’amitié et de coopération de 1971), de l’Algérie de Houari Boumédiène (livraisons d’armes) ou du Maroc (visite du secrétaire général du Parti communiste de Léonid Brejnev, en 1961).

Si certains pays s’inspirent alors ouvertement de l’URSS dans leur gestion économique et politique des affaires intérieures, le « socialisme africain » était surtout marqué par le nationalisme, le panafricanisme et des pouvoirs forts. Il n’implique pas nécessairement un alignement international sur les vues de Moscou, si ce n’est pour un noyau dur constitué de l’Angola, du Mozambique, de l’Éthiopie et de la Somalie.

Toutefois, l’influence russe en Afrique ne résista pas à l’affaiblissement puis à l’implosion de l’URSS. L’Égypte renvoie 20 000 conseillers soviétiques dès 1972 et dénonce en 1976 son traité d’amitié avec la Russie. Les régimes marxistes ont commencé à disparaître progressivement, pour se transformer souvent en dictatures pures et simples, à l’image du Mali du socialiste panafricaniste Modibo Keïta, décoré du prix Lénine en 1963 et renversé en 1968.

La Russie ne revient que progressivement et tardivement en Afrique. Les visites du président Vladimir Poutine en Afrique du Sud – qui sera intégrée en 2011 au groupe des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) devenu BRICS à cette occasion – , au Maroc en 2006, puis en Libye en 2008, ont marqué le début de son grand retour sur le théâtre africain. Son successeur, Dmitri Medvedev, a élargi le cercle en visitant, en 2009, l’Égypte, l’Angola, le Nigéria et la Namibie. Les ouvertures d’ambassades se sont succédé et quarante ambassades russes sont aujourd’hui mobilisées en Afrique pour promouvoir les intérêts économiques de Moscou, rallier les votes des États africains aux Nations Unies et attribuer des bourses et des stages.

Les firmes russes se sont installées sur tout le continent : outre la présence déjà ancienne de Rusal en Guinée-Conakry puis au Nigéria, on peut penser aux consortiums Renova en Namibie, en Afrique du Sud et au Gabon pour le manganèse, Alrosa pour la recherche des diamants en Angola et bientôt en République centrafricaine, Nornikel pour l’or en Afrique du Sud et au Botswana, Lukoil pour l’exploitation du pétrole en Libye, en Côte d’Ivoire et au Ghana ou encore ARMZ pour l’uranium en Tanzanie. Dans le secteur financier, la banque VTB, contrainte d’abandonner en 2019 sa filiale africaine du fait des sanctions économiques consécutives à l’annexion russe de la Crimée, a signé la même année un accord avec la Banque Afreximbank dont le siège est au Caire et qui finance ses opérations d’import-export dans toute l’Afrique.

La présence russe ne se limite pas aux matières premières, elle se manifeste également par la construction ou la mise à niveau des chemins de fer en Algérie ou en Libye, la vente de quatre réacteurs nucléaires à l’Égypte et la signature d’accords de coopération nucléaire civile avec une vingtaine d’États africains dont le Nigéria, le Soudan, l’Éthiopie et le Rwanda. Cette présence économique n’a toutefois pas suscité d’inquiétudes particulières de la part des États occidentaux qui y voient le résultat de l’ouverture du continent dans un jeu normal de concurrence entre puissances.

Il en va différemment dans le domaine militaire. La Russie vend, de longue date, du matériel militaire bon marché aux régimes africains dans le cadre d’accords de coopération militaire, devenant ainsi le premier pourvoyeur d’armes du continent. Le processus s’est toutefois accéléré depuis le début de la crise ukrainienne, en 2014, tout en devenant volontiers agressif à l’égard de l’Occident et, plus spécifiquement, de la France. La Russie a ainsi signé, entre 2017 et 2020, dix nouveaux accords avec des pays qui ne s’étaient jusqu’alors jamais associés à Moscou ( Niger, République centrafricaine, Tanzanie, Zambie, Madagascar, Botswana, Burundi, Guinée-Bissau, Sierra Leone (1)).

Ces accords sont d’un genre nouveau : s’ils incluent les rubriques traditionnelles sur la formation, la livraison d’équipements, l’échange de renseignements, la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la piraterie, ils impliquent également implicitement ou explicitement le déploiement de conseillers militaires pour la protection des personnalités au pouvoir, au besoin par des milices privées ou des mercenaires (2) du groupe Wagner animé jusqu’à sa mort en août 2023 par Evgueni Prigojine, transformant de facto le pays signataire en allié de Moscou. La mise en place d’un réseau de points d’appui militaro-économiques s’accompagne le plus souvent d’une campagne médiatique efficace mettant en valeur la contribution russe au développement et à la défense du pays, son passé sans histoire coloniale, sa prétendue participation à la lutte anti-impérialiste pourtant démentie par la guerre en Ukraine et, surtout, son refus de donner des leçons de démocratie et d’y conditionner toute aide.

La stratégie russe de déstabilisation de la France

La Russie entretient des relations particulièrement belliqueuses avec la France en Afrique notamment depuis le contentieux apparu entre les deux pays autour de la crise libyenne et de la mort du dirigeant Mouammar Kadhafi. Le président Dmitri Medvedev avait, en effet, été convaincu de s’abstenir au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur un projet de résolution, présenté par la France, prévoyant une zone d’interdiction aérienne en Libye. Contre le souhait de son premier ministre Vladimir Poutine, qui y était opposé, il a accepté de ne pas bloquer la résolution 1973. Or, l’interdiction aérienne devenue une interdiction d’intervention directe au sol a conduit à la défaite et à la mort du leader libyen, mettant fin aux contrats signés quelques années plus tôt par Vladimir Poutine à Tripoli, ainsi qu’à l’alliance entre la Russie et la Libye. En représailles, Moscou n’a pas hésité à se poser en concurrent de la France, jugée hostile sur de nombreux dossiers (Syrie, Libye, Ukraine, Biélorussie), dans l’ensemble du continent africain. Ce n’est donc pas un hasard si le nouveau pouvoir malien du colonel Assimi Goïta a réclamé le retrait de la force française Barkhane, redéployée dans la région, et fait appel à la société privée russe Wagner, qui occupe sous les vivats les camps évacués par la France tout en mettant la main sur les gisements d’or maliens.

La nouvelle stratégie russe à l’égard de l’Afrique repose sur trois sphères impliquant des acteurs officiels, des acteurs non officiels mais étroitement liés au pouvoir russe, et enfin des acteurs non officiels jouant le jeu des efforts d’influence russe par conviction ou par opportunisme.

Des choix politiques lourds de conséquence pour la relation bilatérale

La France multiplie les initiatives qui peuvent être interprétées, aujourd’hui encore, comme une tentative de prolonger son emprise sur l’Afrique, en faisant la promotion de la démocratie tout en défendant ouvertement des régimes équivoques ou encore en cherchant à exporter ses standards, son modèle de société et ses valeurs. Récemment, l’ambassadeur français en charge de la défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) n’a fait que renforcer ce sentiment. Sa visite prévue au Cameroun du 27 juin au 1er juillet 2023 pour discuter de la situation des personnes LGBT dans ce pays où l’homosexualité est criminalisée a dû être annulée après que l’ambassadeur a été déclaré persona non grata, le gouvernement camerounais y voyant une initiative peu respectueuse des lois et des valeurs locales et lui refusant finalement la délivrance d’un visa. Malgré plusieurs réformes, le rejet du franc CFA s’inscrit dans la même logique.

La cristallisation des pensions des anciens combattants de l’Union française, les restrictions de l’accès aux visas, rendus obligatoires dès 1986 – et sans réciprocité pour commencer – sur décision de Jacques Chirac, ainsi que les choix de politiques migratoires français autant qu’européens sont vécues comme vexatoires et injustes par des populations africaines majoritairement jeunes, pour certaines francophones, aspirant à une éducation de qualité et à des liens renouvelés entre la France et l’Afrique de l’Ouest.

La France : un pays contesté dans une partie de l’Afrique

Contrairement aux idées préconçues, la France souffre d’une perte d’attractivité sur le continent africain auprès des élites africaines : une enquête de 2021 menée pour le Conseil des investisseurs français en Afrique (CIAN) (1) auprès de leaders d’opinion africains montre que, dans le prolongement des tendances des années précédentes, la crise de la Covid-19 et le dynamisme des pays émergents – au premier rang desquels la Turquie ou encore les Émirats arabes unis – est venue infléchir les rapports de force et d’influence en Afrique.

Les États anglo-saxons et l’Allemagne sont de loin les pays jouissant de la meilleure image sur le continent. Quant à l’influence de la Chine, elle connaît un net recul : son image a perdu quinze points en trois ans.

Celle de la France s’est banalisée. Elle n’occupe plus que la septième place, distancée par tous ses compétiteurs traditionnels et désormais au coude-à-coude avec la Turquie.

Le contexte est encore plus inquiétant auprès d’une partie des sociétés africaines qui rejette, parfois violemment, la présence française en Afrique et nourrit de ses critiques le développement d’un véritable discours anti-français. Ce phénomène reste, pour le moment, circonscrit à une petite partie du continent, principalement francophone, et à travers elle, à une partie minoritaire des sociétés africaines souvent jeune et citadine. Toutefois, l’expansion de ce mouvement et ses risques de viralisation tout comme son retentissement médiatique méritent une attention particulière.

Cette situation n’est certes pas nouvelle. Dans un article consacré au sentiment anti-français en Afrique, le géographe et chercheur Christian Bouquet (1) rappelle que l’un des premiers foyers de confrontation idéologique entre un pays africain et la France fut la Haute-Volta, aujourd’hui le Burkina Faso, en 1983. Les concepts d’anticolonialisme et d’anti-impérialisme y furent popularisés par Thomas Sankara, qui s’en était lui-même imprégné lors de son séjour d’études à l’académie militaire d’Antsirabe, à Madagascar, en 1972. Vingt ans plus tard, c’est en Côte d’Ivoire, alors dirigée par Laurent Gbagbo (2000-2011), que surviennent des manifestations anti-françaises très violentes, créant ce qui fut qualifié à l’époque de « climat anti-français ». Celui-ci prospéra après le refus de la France de soutenir le pouvoir en place à Abidjan face à la rébellion survenue en septembre 2002. Une vague de violences visant les expatriés français, surtout victimes de pillages et de harcèlements, éclata, certains médias n’hésitant pas à publier les noms, adresses et immatriculations d’un grand nombre d’entre eux : elle trouva son paroxysme avec l’assassinat du journaliste correspondant de RFI Jean Hélène, en août 2003.

Dans ces deux pays, le discours anti-français était principalement porté par les médias traditionnels auxquels s’ajoutent, en Côte d’Ivoire, les « patriotes » de la fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), lesquels tenaient des réunions enflammées contre les Français à la « Sorbonne », quartier du Plateau d’Abidjan. Le pouvoir prit également soin de neutraliser les signaux des radios étrangères émettant en FM, qui donnaient régulièrement la parole aux oppositions politiques ; ceux de RFI, France 24, TV5 Monde et de la BBC furent régulièrement coupés entre 2000 et 2011, ce qui n’est pas sans rappeler leur situation actuelle au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Alors la France est parfois accusée de néocolonialisme économique et monétaire, notamment à travers le maintien du franc CFA, elle a pourtant proposé de concert avec le président ivoirien Alassane Ouattara une réforme de cette monnaie en 2019 (2). La balle est à présent dans le camp des pays d’Afrique qui n’ont pas souhaité, à ce jour, utiliser les opportunités ouvertes par cette réforme. Le recours au franc CFA n’est, en effet, pas dénué d’avantages : il confère une certaine stabilité économique aux pays qui l’utilisent. Le taux d’inflation de la Côte d’Ivoire est, par exemple, de 4,8 % contre plus de 10 % chez ses voisins du Ghana et du Nigéria. De même, si de grands groupes français ont été ou sont toujours présents en Afrique (Bolloré, TotalEnergies, Orange, Bouygues), ce sont désormais de véritables multinationales dont les liens avec le gouvernement français ne sont plus les mêmes qu’autrefois.

Le franc CFA au coeur d’une coopération économique et monétaire contestée entre l’Afrique et la France

Le franc CFA est la monnaie commune aux États de la « zone franc » créée à la fin des années 1930, à la veille de la Seconde guerre mondiale. Celle-ci se compose elle-même de trois zones disposant chacune d’une banque centrale et de leur propre monnaie arrimée à l’euro et imprimée en France :

– la zone de l’Union monétaire Ouest africaine (UMOA) qui se compose de huit États : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Ces pays utilisent le franc CFA d’Afrique de l’Ouest (ou XOF) ;

– la zone de l’Union monétaire d’Afrique centrale (UMAC) qui se compose de six États : le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad. Ces pays utilisent le franc CFA d’Afrique centrale (ou XAF) ;

– l’Union des Comores qui utilise le franc comorien (ou KMF).

Chaque pays est libre de rejoindre, de rester et de quitter temporairement (comme l’a fait le Mali de 1962 à 1984) ou définitivement (à l’image de la Guinée, de la Mauritanie et de Madagascar respectivement en 1960, 1973 et 1975) sa zone franc. La participation des pays membres repose sur des accords bilatéraux et, depuis 1962, sur des accords de coopération avec les Unions monétaires régionales.

La souveraineté monétaire et les décisions sont de la responsabilité des trois banques centrales communes et indépendantes, où siègent les États membres de la zone franc :

– la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) au Sénégal ;

– la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) au Cameroun ;

– la Banque Centrale des Comores (BCC).

Les décisions de politique monétaire sont prises à l’échelle régionale. La France dispose d’une représentation minoritaire au sein du comité de politique monétaire et du conseil d’administration de la BEAC (un administrateur français sur sept). Le conseil d’administration de la BCC se compose, quant à lui, de huit membres désignés pour moitié par le gouvernement français. Enfin, suite à la réforme de la coopération monétaire en zone UEMOA annoncée en 2019, la France n’est plus présente dans les instances de gouvernance de la BCEAO. Cette réforme, dont la mise en oeuvre et le calendrier dépendent exclusivement de l’UEMOA, repose sur quatre piliers :

– le changement de nom de la devise. Les autorités de l’UEMOA ont indiqué leur souhait de passer du « franc CFA » (XOF) à l’« ECO »;

– la suppression de l’obligation de centralisation des réserves de change sur le compte d’opérations au Trésor français ;

– le retrait de la France des instances de gouvernance de la zone ;

– la mise en place concomitante de mécanismes ad hoc de dialogue et de suivi des risques.

Le régime de change demeure inchangé, avec le maintien de la parité fixe entre l’euro et la devise de l’Union, ainsi que de la garantie de convertibilité assurée par la France.

La réforme du franc CFA devrait se poursuivre dans les années à venir. La CEDEAO a ainsi lancé un projet de devise commune en deux phases :

– les pays qui disposent de leur propre devise (Cap-Vert, Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria et Sierra Leone) lanceront une monnaie commune ;

– les huit membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) – Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo –, qui ont en commun le franc CFA, devraient adopter cette nouvelle monnaie, afin que tous l’utilisent en 2027. D’ici là, les pays de la zone franc devront achever les réformes du franc CFA engagées fin 2019, avec la signature d’un nouveau traité monétaire avec Paris.

Le franc CFA fait l’objet de critiques nourries depuis sa création (1). Celles-ci dénoncent un outil néocolonial au service de politiques « françafricaines », la centralisation des réserves au Trésor public français vue comme une preuve patente du manque de souveraineté monétaire, la fabrication des billets en France, l’ancrage fixe à l’euro là où un arrimage à un panier de monnaies correspondrait davantage aux réalités dynamiques des échanges internationaux ou encore le caractère restrictif de la politique monétaire associée.

Ces critiques ont gagné en audience et en visibilité sous l’influence de chocs exogènes qui ont touché la monnaie : dévaluations du franc, crise de l’endettement, dévaluation du franc CFA, passage à l’euro, etc. Selon les périodes, les critiques plus politiques (néocolonialisme) ont pris le dessus (années 1960-1970) ; à d’autres moments, ce sont les critiques économiques qui ont été les plus audibles (à partir des années 1980). La période actuelle intègre et amalgame les différents arguments politiques, économiques, géopolitiques et panafricanistes ; elle a également vu ces critiques nourrir un temps le mouvement social (Sénégal, Mali, notamment), avant de devenir l’un des principaux sujets de contestation dirigée contre la France en Afrique de l’Ouest.

Une fragilité qui conduit au retrait partiel de la France du continent africain, notamment dans la zone sahélienne

La remise en cause de l’influence française en Afrique se traduit par la multiplication des manifestations hostiles, et parfois violentes, aux intérêts français. Pensons, par exemple, aux attaques dirigées contre l’ambassade de France à Ouagadougou et l’Institut français de Bobo Dioulasso au Burkina Faso, le 1er octobre 2022, à l’interdiction, le 3 décembre 2022, de la diffusion de RFI sur le territoire burkinabé, bientôt suivie de celle de France 24, en mars 2023, et à l’expulsion des correspondants des journaux Le Monde et Libération, en avril 2023. Citons également le pillage de magasins français à Dakar, au Sénégal, en mars 2021, ou l’interdiction faite aux organisations non gouvernementales (ONG) recevant des fonds français d’exercer au Mali.

Plus structurellement, la fragilité actuelle de la France en Afrique conduit à un net recul de sa présence sur le continent, lequel a connu un développement spectaculaire sur le plan militaire et dans la zone sahélienne au cours de l’année 2022 pour trouver un ultime développement en octobre septembre 2023 avec le début du retrait des forces françaises présentes au Niger. Cela s’est également traduit par le retrait, en décembre 2022, des dernières forces militaires françaises présentes en Centrafrique, qui suivit la dégradation de ses relations avec la France du fait de la présence d’éléments de la milice russe Wagner sur son territoire. La France a ainsi suspendu son accord de coopération militaire avec la Centrafrique en avril 2021 et l’Union européenne (UE) a gelé ses missions de formation, en décembre 2021 pour la même raison. Deux autres exemples, au Mali et au Burkina Faso, permettent de prendre la mesure du phénomène.

La fin de l’opération Barkhane

Le 9 novembre 2022, le président de la République Emmanuel Macron annonce la fin de l’opération Barkhane au Sahel (1), laquelle visait à sécuriser le territoire malien et à prendre le relais, en août 2014, de l’opération Serval, elle-même lancée en 2013 avec un mandat clair, celui de repousser l’avancée terroriste vers Bamako, capitale politique et administrative du pays.

Cette annonce parachève un processus de retrait des troupes françaises du Mali, où étaient principalement déployés les militaires français, amorcé mi-2021 ; les derniers soldats français mobilisés dans le cadre de Barkhane, qui a compté jusqu’à 5 100 hommes – hors forces spéciales –, ont quitté le pays mi-août 2022. Ce retrait s’est accompagné de celui de la task force Takuba, coalition de forces spéciales européennes qui soutenaient l’armée malienne. Dans leur déclaration conjointe de deux pages sur la lutte contre la menace terroriste et le soutien à la paix et à la sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest, publiée le 17 février 2023, l’ensemble des acteurs impliqués (1) soulignent qu’« en raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les États européens opérant aux côtés de l’opération Barkhane et au sein de la Task Force Takuba estiment que les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations. En étroite coordination avec les États voisins, ils ont également exprimé leur volonté de rester engagés dans la région, dans le respect de leurs procédures constitutionnelles respectives. ».

La politique de la France à l’égard de l’Afrique au Quai d’Orsay

Différentes directions du Quai d’Orsay sont mobilisées pour le déploiement de la politique française en Afrique :

– la direction de l’Afrique et de l’Océan indien (DAOI) : composé de 51 ETPT, il s’agit de l’une des cinq « directions géographique » du ministère. Elle est chargée, d’une part, de la conduite des relations bilatérales entre la France et les États d’Afrique subsaharienne et suit en ce sens les questions politiques, économiques et sociales de ces pays et, d’autre part, de la conduite des relations avec les organisations régionales non financières de la zone. Elle s’appuie sur 42 ambassades qui animent au quotidien les relations diplomatiques avec leurs pays ou les organisations hôtes et mettent en oeuvre les orientations politiques prises par la France. Sur la base de son expertise géographique, elle apporte également une vision et des recommandations politiques à la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international dans son action ;

– la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international (DGM), quant à elle, définit et met en oeuvre l’action de la France relative aux enjeux globaux, au développement durable, à la coopération internationale, à la politique d’influence et aux grandes politiques sectorielles.

D’autres services contribuent, dans le champ de leurs compétences, au traitement des questions africaines au sein du ministère :

– la direction de la communication et de la presse (DCP), qui est chargée notamment de la définition et de la mise en oeuvre de la stratégie de communication du ministère en Afrique, des relations avec la presse et les journalistes africains, et de veiller à la cohérence de l’ensemble de l’expression publique des services de l’administration centrale et des postes diplomatiques et consulaires en Afrique ;

– la direction de l’Union européenne (DUE), qui suit la déclinaison en Afrique des orientations de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union ;

– la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) qui, dans ses activités, anime la coopération structurelle avec les États africains dans les domaines de la défense et de la sécurité intérieure et civile. Elle met en oeuvre, dans ces domaines, sous la forme de projets de coopération bilatéraux ou multilatéraux, des actions de formation, d’expertise et de conseil dont elle assure le pilotage stratégique et la gestion globale ;

– la direction des Nations Unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie traite, par différents volets, des thématiques africaines : questions politiques relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales au sein des enceintes des Nations Unies, affaires humanitaires et francophonie ;

– l’ambassadeur en charge de la diplomatie publique en Afrique et son équipe.

Une perte de connaissances sur l’Afrique au sein du Quai d’Orsay

La faible valorisation des parcours tournés vers l’Afrique au sein du Quai d’Orsay, la disparition en 1998 du ministère de la coopération dont le niveau d’expertise sur le continent africain était indéniable, comme la réduction des effectifs des postes offerts aux diplomates dans le réseau, tout particulièrement dans les pays africains, et le retrait du ministère de l’Europe et des affaires étrangères sur les questions africaines n’ont sans doute pas contribué à la montée en puissance d’une véritable filière « Afrique » au sein du Quai.

Il est reconnu que les postes occupés en Afrique ne sont pas assez valorisés dans la carrière des diplomates. De même, il n’est pas rare de voir des non spécialistes être nommés en Afrique, ou des spécialistes d’Afrique de l’Est nommés en Afrique de l’Ouest, et inversement. Le rapporteur Bruno Fuchs déplore, à ce titre, que presque aucun ambassadeur ou consul de couleur ne soit en poste en Afrique. On voudrait délibérément se couper des meilleurs experts sur l’Afrique qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères semble toutefois conscient de cette problématique. La direction des ressources humaines (DRH) a ainsi lancé plusieurs initiatives dédiées au renforcement de cette filière africaine, parmi lesquelles :

– la modification du concours d’Orient avec l’introduction à l’automne 2024 d’une section « Afrique » et la possibilité de concourir avec deux langues supplémentaires, le wolof et le peul, venant s’ajouter à l’haoussa, au mandingue et au swahili ;

– l’ouverture d’une réflexion sur le renforcement de la formation initiale et continue des diplomates sur la zone Afrique ;

– le développement de la mobilité hors du ministère sur des postes traitant de questions africaines au sein d’autres administrations françaises, d’entreprises, d’organisations non gouvernementales, d’institutions européennes ou encore de think tanks est à l’étude ;

– la meilleure prise en compte des contraintes spécifiques à certains pays africains ;

– la volonté de faire mieux connaître le ministère et ses métiers auprès de publics qui s’intéressent à l’Afrique mais ne se tournent que peu vers les carrières diplomatiques, souvent par manque de connaissance de la réalité des métiers et par conviction que la diplomatie demeure hors de portée et destinée à une élite.

Plus largement, les rapporteurs considèrent que la connaissance des pays africains devrait davantage guider la politique de recrutement du Quai et l’octroi de postes diplomatiques en Afrique comme le font de nombreux pays, tels que les États-Unis et la Russie.

Des maladresses vexatoires

« La France, on l’aime mais on la veut autrement ». Voici en substance ce que disent les Africains : les interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs ont tous exprimé une grande frustration face à une France à laquelle ils sont attachés mais qu’ils ne reconnaissent plus. Ils ont été unanimes pour critiquer des comportements qu’ils jugent indifférents, blessants et même humiliants.

Tour à tour, les Français sont perçus comme paternalistes, arrogants, condescendants, donneurs de leçon, peu à l’écoute, imposant leurs standards et leurs idées préconçues. Nombre des témoignages recueillis ont fait état de situations qui ont renforcé la défiance du continent envers la France. Si certaines peuvent paraître anecdotiques à nos yeux, elles ont été interprétées comme des résurgences vexatoires de l’esprit de la Françafrique ou, au mieux, une méconnaissance des usages et des cultures africaines.

Le rapporteur Bruno Fuchs souligne quelques exemples pertinents à ses yeux à l’instar du tutoiement facile de certaines autorités françaises à l’égard de leurs aînés africains : là où les Français y voient une recherche bienveillante de proximité, les Africains l’interprètent comme un manque de respect manifeste. Sont également souvent cités l’appel du président Nicolas Sarkozy à ce que l’homme africain entre dans l’histoire, prononcé lors de son discours de Dakar de 2007 (1), ou les propos du président Emmanuel Macron à l’égard du président burkinabé mué, le temps d’une plaisanterie prononcée dans un souci de complicité avec un amphithéâtre d’étudiants, en réparateur de climatisation (2).

Ce type de maladresse n’est pas le propre des politiques mais peut se retrouver dans tous les milieux, qu’ils soient économique, culturel, institutionnel, militaire ou touristique. Il s’agit là d’un point central : aucune stratégie de reconquête ne trouvera d’échos sans changement de comportement.

Certaines initiatives françaises ont également pu susciter une forme d’incompréhension. C’est le cas du sommet de Montpellier dont la réception et l’héritage sont controversés. Si la France a retenu son côté visionnaire, les populations africaines ne se sont pas senties représentées alors que les chefs d’État, non invités, ont eu le sentiment d’être trahis.

La politique des visas « au coeur de la discorde »

« Moi, je ne demande même plus de visa à la France. Je ne veux plus vivre d’humiliation ». Voilà le type de témoignages surprenant et révoltant que les rapporteurs, comme nombre de parlementaires, reçoivent chaque jour. Pensons à cette professeure tunisienne de l’institut Pasteur qui se voit refuser un visa, finalement accepté quand sa fille mineure est, elle, recalée. Le vice-président de l’Assemblée nationale du Cameroun muni d’un passeport diplomatique se voit refuser un visa pour se rendre à une conférence sur la francophonie. Un donneur de rein sénégalais ne peut aller à l’hôpital ; cet élève majeur en classe de terminale au lycée Mermoz d’Abidjan choisit, à défaut de pouvoir se rendre en France, de poursuivre ses études au Canada ou encore cette cheffe d’entreprise de Côte d’Ivoire qui, ne pouvant obtenir le fameux sésame pour former ses techniciens à de nouveaux matériels qu’elle souhaitait acheter dans notre pays, s’est finalement approvisionnée en Inde pour développer son entreprise. Et la liste est encore longue.

La politique des visas menée par la France et la question des laissez-passer consulaires, sont plus que des irritants majeurs de la relation entre les populations d’Afrique et notre pays : elles sont contre-productives. S’agissant des visas, il existe, en effet, une contradiction certaine entre les injonctions à développer des projets toujours plus inclusifs et ouverts aux sociétés civiles, chercheurs, artistes du continent africain, et les barrières existantes à leur mobilité vers la France. De nombreuses expériences malheureuses, absurdes et humiliantes ont ainsi été rapportées : refus de visas sans justifications, délais de réponses extrêmement longs, arrestations par la police des frontières de personnes étant pourvues de toutes les autorisations nécessaires. Les démarches pour obtenir un visa sont longues, complexes et de plus en plus déléguées à des plateformes d’entreprises privées auxquelles nombre de consulats, dépassés par les demandes, ont sous-traité la gestion : celles-ci sont souvent perçues par les populations locales comme une contrainte supplémentaire, allongeant excessivement la liste des pièces à fournir requises et faisant l’objet, pour certaines, à tort ou à raison, de soupçons de corruption. Le rapport de Paul Hermelin (1), paru en avril 2023, n’hésite pas à parler du « caractère dramatique de la situation actuelle » et de « crise des visas », constatant sur « tous les sites sans exception […] des demandeurs mécontents, des responsables frustrés et des services consulaires souvent épuisés ».

Il ne s’agit pas de nier les enjeux propres à la délivrance des visas, y compris en matière de gestion des flux, à laquelle la rapporteure Michèle Tabarot rappelle sans détour son attachement, mais seulement de souligner que son pilotage par le seul ministère de l’intérieur comme une politique migratoire au détriment de son inscription dans le cadre plus large d’une politique assurant le rayonnement de la France à l’étranger est dommageable pour l’image de notre pays. Dans des secteurs aujourd’hui aussi concurrentiels que l’éducation et la recherche au niveau mondial – pour ne citer qu’eux – la France prend le risque de se marginaliser au profit de pays ayant bien compris l’intérêt que ces échanges représentent, tels que le Canada et les États-Unis souvent cités en exemples. En Côte d’Ivoire, par exemple, il est fréquent et désolant de constater que de brillants étudiants ayant fait toute leur scolarité dans des écoles françaises jusqu’au baccalauréat rejoignent ensuite le Canada ou un pays anglophone pour leurs études supérieures faute d’obtenir un visa pour intégrer une université ou une classe préparatoire en France. Lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs du 28 août 2023, le président de la République a reconnu que le système de délivrance des visas actuel manquait d’efficacité et concourrait trop souvent à pénaliser les familles et les talents nourrissant positivement la relation bilatérale sans parvenir à lutter efficacement contre l’immigration illégale et les réseaux de passeurs.

Le partenariat entre Paris 2024 et les Jeux olympiques de la jeunesse Dakar 2026

Une séquence sport de premier plan s’ouvre prochainement avec les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) Paris 2024 et les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) Dakar 2026, lesquels se tiennent pour la première fois en Afrique. Dans ce cadre, un partenariat entre les écosystèmes français et africains mobilisés pour l’organisation de ces évènements a été conclu.

Parmi les projets réalisés dans le cadre de cette collaboration, on peut citer :

– la création, en septembre 2019, de l’Alliance Dioko dont l’objectif est de favoriser le partage d’expertise entre les acteurs des mouvements sportifs français et sénégalais dans la perspective des JOJ de Dakar ;

– le lancement d’un programme d’incubation d’athlètes porteurs de projets d’entrepreneuriat social et environnemental, qui permet le financement par Paris 2024 de 10 athlètes en France et de 16 athlètes en Afrique soutenus par l’AFD ;

– l’appel à projets « Impact 2024 International », lancé en juillet 2021, afin d’accompagner et de financer à hauteur de 10 000 à 40 000 euros des projets utilisant le sport comme outil au service du développement en Afrique ; 19 projets ont ainsi été financés lors des deux premières sessions et deux nouvelles sessions sont organisées à partir de la mi-2023 ;

– le financement par l’AFD de 45 millions d’euros destinés aux autorités sénégalaises dans le cadre de l’organisation des JOJ de Dakar en 2026, afin de permettre la réhabilitation d’infrastructures sportives existantes et la construction de nouvelles infrastructures, la définition d’une stratégie de gestion et d’entretien des sites et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’accès aux équipements sportifs.

Quelques exemples d’initiatives de soutien à l’entreprenariat et à l’innovation en Afrique

1°) Choose Africa

Au 31 décembre 2021, 3 milliards d’euros de financements ont été engagés par le programme « Choose Africa » d’appui aux PME, parmi lesquels 780 millions d’euros en réponse à la crise économique faisant suite à la pandémie (« Choose Africa Resilience ») qui s’est achevé le 31 décembre 2021. Au total, ce sont 26 000 entreprises et plusieurs dizaines de milliers de micro-entrepreneurs qui ont été soutenus. Dans ce même cadre, près de 2 500 entreprises bénéficient aussi d’un accompagnement technique.

2°) Digital Africa

La France porte une attention particulière au développement des entreprises du numérique sur le continent africain. C’est dans cette perspective qu’elle a créé l’initiative « Digital Africa », d’abord sous la forme d’une association soutenue par l’AFD, en 2018, avant qu’elle ne devienne, en 2021, une filiale de Proparco.

Concrètement, « Digital Africa » intervient au bénéfice de sociétés en création ou dont le stade de maturité ne permet pas encore le soutien de Proparco (pré-amorçage et amorçage), pour de tickets en direct d’un montant de 500 000 euros maximum sur des cibles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros et visant une levée de fonds inférieure à 1,5 million d’euros.

3°) Affirmative Finance Action for Women in Africa (AFAWA)

Lancé à l’occasion du G7 de Biarritz en août 2019, le mécanisme AFAWA de facilitation de l’accès au crédit pour les femmes entrepreneuses sur le continent africain est désormais effectif dans six pays (Cameroun, République démocratique du Congo, Kenya, Rwanda, Tanzanie et Ouganda) grâce à l’adhésion de leurs établissements financiers. La France apporte une contribution de 135 millions de dollars qui va permettre, aux côtés des Pays-Bas et de la Banque africaine de développement (BAD), de fournir des garanties aux institutions bancaires pour accélérer l’accès aux prêts pour ces femmes.

La France apporte également un soutien en matière d’assistance technique à hauteur de 4,5 millions de dollars en 2021. Cette assistance vise à offrir des services de conseil aux institutions financières (banques et autres intermédiaires) pour leur permettre d’adapter leurs services financiers à destination des femmes entrepreneures et de garantir une mise en oeuvre optimale de leurs portefeuilles de produits destinés aux femmes. Elle cible aussi directement le renforcement des capacités des femmes entrepreneures grâce à des formations visant à optimiser la productivité et la croissance de leur entreprise.

Des instruments d’influence peu ou mal mobilisés

L’audiovisuel extérieur de la France constitue un outil d’influence puissant. France Médias Monde (FMM), qui regroupe la chaîne d’information continue France 24, la radio mondiale RFI et Monte Carlo Doualiya, réalise ainsi une audience globale en Afrique subsaharienne, pour l’année 2022, de 78,5 millions de téléspectateurs et auditeurs hebdomadaires, soit une hausse de 19 % par rapport à 2018 : France 24, première chaîne d’information en Afrique francophone, compte ainsi 40 millions de téléspectateurs hebdomadaires toutes zones et langues confondues, soit une audience en augmentation de 32 % par rapport à 2018, tandis que RFI réunit 38,6 millions d’auditeurs chaque semaine, nombre en hausse de 13 % depuis 2018. Les coupures intervenues au Mali, au Burkina Faso et, plus récemment, au Niger n’ont donc pas eu d’influence majeure sur la part d’audience de FMM dans la région, laquelle a développé des stratégies de contournement de ces interdictions de diffusion consistant à recourir aux ondes courtes, à la diffusion satellitaire directe ne passant par aucun opérateur de bouquet, aux réseaux privés virtuels et aux sites miroirs, et à utiliser les réseaux sociaux et plateformes de diffusion des flux en direct sur YouTube et Facebook notamment.

Afin de toucher une audience plus large et d’ancrer ses médias dans un contexte de fortes déstabilisations géostratégiques en Afrique, FMM propose désormais des programmes sur RFI en quatre langues africaines à raison de deux heures de programme par jour : en mandenkan et en fulfulde, depuis une rédaction située à Dakar, en haoussa, depuis Lagos, et en kiswahili, depuis Nairobi. RFI propose également des programmes dans d’autres langues parlées en Afrique, qu’il s’agisse du portugais diffusé en FM au Cap Vert, en Guinée-Bissau, au Mozambique et à Sao Tomé, ainsi qu’en anglais. Elle s’appuie sur des envoyés spéciaux permanents présents dans les grandes capitales régionales d’Afrique, à Abidjan, Dakar et Nairobi, ainsi qu’un important réseau de correspondants plurilingues présents dans tous les pays d’Afrique, dont beaucoup d’entre eux sont originaires.

En ce sens, FMM présente de nombreux atouts pour permettre à la France de nouer des liens étroits avec les populations africaines. Certains programmes y contribuent déjà. RFI et France 24 proposent ainsi des programmes spécifiquement dédiés à la déconstruction des fausses informations qui prolifèrent, à travers une quinzaine d’émissions dans toutes les langues (en français, en anglais mais aussi dans différentes langues africaines), à l’instar de la rédaction des « Observateurs » sur France 24. Le groupe contribue également au rayonnement de la francophonie par l’accompagnement de l’apprentissage du français, grâce à ses antennes en français et aux offres en langues étrangères qui s’insèrent toujours dans la grille francophone, ainsi que des outils d’apprentissage de la langue française, en particulier avec le nouveau site « le Français facile avec RFI », le « journal en français facile » et les fictions bilingues en langues africaines et française.

Les résultats d’audience de FMM apparaissent d’autant plus satisfaisants que le groupe dispose d’un budget largement inférieur à ces principaux concurrents en Afrique, tels que BBC World Service, Voice of America (USA Global Media) et Deutsche Welle, qui disposent de moyens renforcés depuis plusieurs années, leur permettant de bénéficier d’effectifs plus nombreux sur le terrain pour développer des partenariats tant en termes de reprises directes que de co-productions avec les médias locaux.

Les rapporteurs souhaitent toutefois attirer l’attention sur deux dimensions :

– comme souligné, les budgets alloués aux médias extérieurs français sont faibles par rapport à ceux de leurs principaux concurrents. Par ailleurs, l’État français ne donne guère de visibilité à moyen terme sur leur financement, ce qui empêche FMM de se projeter sereinement dans l’avenir ;

– dans la guerre informationnelle qui se joue en Afrique, les médias publics font librement leurs choix éditoriaux sur lesquels les rapporteurs n’ont pas autorité à intervenir. Cependant, lors des auditions menées, de nombreux témoignages ont déploré que ces médias renvoient trop souvent une image négative de la France et de sa diplomatie. Or, il faut bien comprendre qu’en Afrique, peu font la différence entre un média de service public et un média d’État. Cet amalgame conduit certains commentateurs à déplorer que notre pays montre à longueur d’antenne des images d’attaques de nos ambassades ou donne de l’audience à des discours violemment anti-français. Les rapporteurs souhaitent alerter sur ce constat. Ils regrettent également que les initiatives positives menées par la France soient souvent oubliées des médias et que la parole soit donnée à ses détracteurs, prêts à user de tous les discours et méthodes malhonnêtes pour porter atteinte à l’image de notre pays. La réalisation d’un entretien avec l’influenceur anti-français, payé par la Russie, Kémi Séba, programmé puis annulé au dernier moment sur la chaîne parlementaire LCP, a pu émouvoir. Cette initiative est d’autant plus dommageable qu’elle a été aisément exploitée par cet influenceur comme le signe de la peur supposée qu’il inspirerait aux autorités françaises et la reconnaissance explicite de son influence. Les rapporteurs en appellent à la responsabilité de chacun dans un moment difficile pour la France et ses ressortissants. Les États généraux de l’information, annoncés par Emmanuel Macron le 13 juillet 2023 et lancés au début du mois d’octobre, sont l’occasion d’aborder cette question : les rapporteurs en soutiennent l’initiative et espèrent que ce rendez-vous sera l’occasion d’une prise de conscience générale sur le rôle joué par les médias dans la diffusion ou la lutte contre la désinformation dont la France est victime.

Une stratégie communicationnelle déployée avec retard

La France a commencé à prendre la pleine mesure des attaques dont elle fait désormais l’objet par des puissances étrangères déstabilisatrices. Elle déploie ainsi une nouvelle stratégie nationale d’influence dont la réalisation repose sur une logique interministérielle et sur une tentative de définition d’une nouvelle politique communicationnelle.

Il est toutefois regrettable qu’elle ait pris si tardivement conscience du caractère préjudiciable de ces attaques. Le développement d’un discours anti-français instrumentalisé par la Russie en Afrique est connu dès 2013 ; il faut néanmoins attendre les années 2019-2021 pour que la France commence véritablement à prendre en compte cette menace sous la pression de l’influence russe grandissante en Centrafrique. Dans son discours du 1er septembre 2022 à la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, Emmanuel Macron appelle ainsi à la poursuite d’une « diplomatie de combats », dont l’une des déclinaisons repose sur une nouvelle stratégie communicationnelle. Les diplomaties publique et d’influence sont finalement considérées comme des fonctions stratégiques par la nouvelle revue nationale stratégique de 2022. Enfin, cette dimension de la guerre asymétrique est intégrée à la loi de programmation miliaire votée en 2023.

Cette communication s’articule autour de deux piliers : l’un défensif, la lutte contre les fausses informations et les désinformateurs ; l’autre offensif, la valorisation des atouts et actions menées par la France en Afrique, notamment au profit des populations locales. Elle s’accompagne du déploiement d’un narratif unique et cohérent, lequel assume le passé de la France et présente le renouveau de la politique française à l’égard de l’Afrique comme le fruit d’un choix, résolument tourné vers l’avenir. Ce narratif s’adresse non seulement aux responsables politiques africains mais aussi aux populations civiles et, au-delà, à tous les franco-africains. Il met en avant les multiples liens positifs entre la France et l’Afrique, qu’ils soient culturels, sportifs, économiques ou démographiques, à travers l’importance des diasporas franco-africaines. Il insiste également sur les valeurs dont la France est porteuse (droits de l’Homme, démocratie et bonne gouvernance) tout en se gardant de se prononcer sur les situations politiques intérieures propres à chaque État africain ou sur les résultats de l’action militaire et sécuritaire de la France en Afrique. Il recourt enfin à un vocabulaire spécifique : l’Afrique est désignée comme un « partenaire » lié à la France par des relations égalitaires et respectueuses, dont la voix compte et qui doit être écoutée ; elle fait l’objet d’alliances ou d’initiatives conjointes et non d’aides ou de tentatives de développement dans une logique asymétrique. Un point de vigilance consiste à ne pas se laisser enfermer dans la posture de l’ancienne puissance coloniale : chaque fois qu’il est demandé, y compris par des acteurs africains, à un représentant français de s’exprimer sur les orientations politiques d’un pays africain, il est nécessaire de rappeler que ce n’est pas le rôle de notre pays de délivrer des conseils sur la posture à tenir.

La mise en oeuvre de cette nouvelle communication repose sur la mobilisation de tous les canaux institutionnels : outre le président de la République et ses ministres, des postes d’ambassadeurs thématiques ont été créés. La France dispose désormais d’un ambassadeur dédié à la diplomatie publique en Afrique. La mission compte, en plus de l’ambassadeur, un agent contractuel du ministère des affaires étrangères, un agent mis à disposition du ministère des armées et un stagiaire une partie de l’année. Elle s’appuie, par ailleurs, sur les ressources de veille et de communication des ministères des armées et des affaires étrangères. Enfin, l’ambassadeur préside le comité interministériel pour la diplomatie publique en Afrique, qui rassemble l’ensemble des ministères et services concernés. La France compte, en sus, un ambassadeur pour le numérique chargé de promouvoir les droits humains, les valeurs démocratiques et la langue française dans le monde numérique, ainsi que de renforcer l’influence et l’attractivité des acteurs français du numérique.

Depuis août 2022, le Quai d’Orsay s’est, en outre, doté d’une nouvelle sous-direction en charge de la veille et de la stratégie en complément de celles de la communication et du porte-parolat : elle réunit une vingtaine de personnes, dont une cellule de veille sur les réseaux sociaux composée de cinq personnes. Des effectifs supplémentaires pour assurer la gestion de ces nouvelles missions ont été consentis, tout comme un doublement des moyens budgétaires dédiés à la communication et un renforcement de la coordination entre Paris et les services de presse des ambassades et consulats à travers le monde.

La France développe des partenariats pour mieux lutter contre les menaces informationnelles. Notre pays n’est pas le seul concerné par ces attaques, qui s’en prennent, plus généralement, au modèle occidental. La France noue ainsi des liens avec ses partenaires européens, notamment allemands et baltes, mais aussi avec ceux du G7, tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, et les pays africains eux-mêmes via le réseau francophone des régulateurs de médias (Refram), créé à Ouagadougou en 2007 et dont l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) est membre. Elle s’investit enfin dans certaines organisations internationales, telles que l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), où se tiennent des discussions sur la définition de ce qu’est une information fiable.

Localement, cette stratégie s’appuie sur les ambassades : il revient à chaque ambassadeur désormais à la tête d’un comité local de communication, d’une part, de définir une ligne communicationnelle claire, qui devra être reprise par l’ensemble des acteurs de l’ « équipe France » sur le terrain et, d’autre part, de renforcer sa communication, notamment sur les réseaux sociaux. L’objectif fixé par le Quai d’Orsay est que l’ensemble des ambassadeurs soient ainsi présents sur les réseaux sociaux lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs d’août 2023. Pour ce faire, de nouveaux moyens leur sont octroyés :

– le 2 septembre 2022, lors de son discours à la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna, a annoncé la création de trois fonds de soutien à l’innovation au sein du ministère. L’un d’entre eux concerne la communication du réseau diplomatique. Doté de 500 000 euros, il vise à soutenir les projets les plus ambitieux et les plus innovants en matière de communication. L’objectif est de renforcer la capacité des postes à mener des actions de communication innovantes et à toucher de nouveaux publics, en appui des positions françaises. L’appel à projets pour le Fonds de soutien à l’innovation en matière de communication est clos depuis le 22 février 2023 : 96 dossiers ont été reçus dont 26 pour la zone « Afrique-Océan indien » – depuis mars 2022, la direction de la communication et de la presse du Quai d’Orsay apporte un soutien accru à ses ambassades en Afrique, en leur proposant une aide en termes de réalisation vidéo et de visuels, avec le soutien de prestataires extérieurs.

– depuis mars 2022, la direction de la communication et de la presse du Quai d’Orsay apporte un soutien accru à ses ambassades en Afrique, en leur proposant une aide en termes de réalisation vidéo et de visuels, avec le soutien de prestataires extérieurs.

Réformer la politique des visas : une urgence

Il s’agit là, pour le rapporteur Bruno Fuchs, d’un des irritants majeurs de notre relation avec les citoyens africains. Les incohérences et les situations vexatoires sont quotidiennes. Au total, ce sont des centaines de milliers de personnes qui nourrissent de griefs contre la France. Mais ce sont aussi de nombreux talents dont la France se prive indûment. Que de déceptions, de frustrations et d’humiliations inutiles ; que de rendez-vous manqués et d’aigreur difficile à dépasser.

Au regard des conflits récurrents qui opposent la France aux pays africains autour de la politique de délivrance des visas et des laissez-passer consulaires, les autorités françaises ont assoupli, sous conditions, les règles d’entrée de certains publics notamment pour les étudiants et diverses professions, à l’instar des chercheurs.

Comme cela a pu être illustré, force est toutefois de constater que ces dispositifs sont insuffisants au regard des enjeux. Comme le souligne Paul Hermelin, rapporteur d’une mission d’évaluation sur la politique des visas de la France, c’est l’ensemble de la politique française de délivrance des visas qu’il faudrait repenser. Il préconise, à ce titre, de réaffirmer les trois priorités de la politique migratoire (sécurité, maîtrise de l’immigration et attractivité), de rééquilibrer leur combinaison, d’identifier les publics cibles et de traduire en instructions claires et positives cette nouvelle stratégie pour mieux guider les agents des services des visas dans leur travail quotidien.

Les rapporteurs proposent que les personnes auparavant dotées d’un visa de plusieurs années puissent obtenir de nouveau, si elles en font la demande, ce type de visa long : les cas répertoriés d’hommes politiques, d’entrepreneurs, d’artistes et autres intellectuels obligés de demander le renouvellement constant de leur visa, à quelques semaines ou mois d’intervalles, alors qu’ils disposaient auparavant de visas de plusieurs années avec une partie de leur famille ou une résidence en France, présentent une dimension inutilement vexatoire. Il pourrait ensuite appartenir aux agents locaux, plus proches des réalités du terrain, d’interpréter certains critères de délivrance, tels que le degré d’insertion des demandeurs, au regard des situations locales, à condition que ces interprétations soient explicitées et communiquées aux parties concernées. Cette stratégie pourra ensuite faire l’objet d’une communication réaliste et dynamique, élaborée depuis Paris et diffusée localement par les ambassades et les services consulaires, conjuguant les impératifs d’attractivité et de sélectivité des procédures. Enfin, le renforcement des effectifs responsables, à Paris comme en poste, des demandes de visas, le renforcement de leur formation afin de leur permettre d’identifier plus facilement le public prioritaire, la suspension du recours à l’externalisation des démarches, souvent sources de difficultés, et la mise en place d’instances de dialogue et de concertation à tous les échelons paraissent urgents et indispensables à la continuité et à la fluidité des processus existants.

Les rapporteurs soutiennent la mise en oeuvre de ces préconisations ainsi que l’importance de promouvoir une politique européenne clarifiée en matière de contrôle des frontières et de conditionnalité de la délivrance des visas, au sein de l’espace Schengen, sans quoi tout effort au niveau national pour repenser cette politique risque de rester lettre morte. La France doit ainsi oeuvrer activement, dans les prochains mois, à la définition d’une politique migratoire européenne harmonisée et cohérente.

Pour les rapporteurs, cette vision globale devra également s’inscrire dans une stratégie de gestion et de maîtrise des flux passant notamment par un rôle renforcé du Parlement dans la définition de ses objectifs et dans le suivi de leur mise en oeuvre.

Arrêter d’imposer nos réalités et nos modes de pensée

En Afrique, la France est accusée d’une autre forme de colonisation, celle des esprits. Deux exemples permettent d’illustrer ce que les Africains pensent.

La France est très engagée sur le sujet de la défense de la démocratie opérée à partir d’un référenciel français historiquement daté, culturellement identifié et géographiquement situé. Celui-ci n’est pas nécessairement adapté aux modes de gouvernance africains, qui sont tout autant légitimes, et doivent être compris en tenant compte de l’histoire et de la culture de ces pays.

La démocratie élective, prédominante en France, ne recouvre ainsi que très imparfaitement les subtilités et les richesses de la sociologie africaine : aussi est-elle perçue comme une matrice occidentale imposée de l’extérieur. Achille Mbembe prône ainsi la recherche d’une forme de démocratie substantive plus conforme aux réalités africaines et qui, dans nos sociétés mêmes, serait apte à réduire la fracture entre citoyens et intitutions. La fondation de l’innovation pour la démocratie, née du sommet de Montpellier en 2021, est, à cet égard, une réponse adaptée à cette nécessité d’opérer une révolution intellectuelle et un décentrement de notre vision. Sans nier l’importance de la question des droits fondamentaux, des libertés publiques et de l’État de droit tout en s’inspirant des réalités africaines, la fondation, pilotée par des experts de terrain, cherche à trouver des réponses politiques propres à chaque pays d’Afrique. Voilà qui est prometteur : partir du terrain pour créer des outils adaptés et mieux acceptés par la société civile.

Il faut bien comprendre que les populations africaines sont d’abord préoccupées par des considérations matérielles directes, telles que pouvoir manger et faire vivre leurs familles, et non par la question des deuxième et troisième mandats. La figure de l’aîné y est centrale. La légitimité du pouvoir vient encore aujourd’hui des chefferies tradionnelles. On doit au chef, à l’aîné, un respect absolu ce qui explique que des présidents puissent rester très longtemps au pouvoir sans faire l’objet de contestation, même si les jeunes générations se distancient progressivement de ces pratiques.

La question de l’orientation sexuelle est à l’origine d’une autre incompréhension. L’homosexualité est interdite dans de nombreux pays du continent et passible de lourdes sanctions pénales ; au Soudan, en Somalie ou en Mauritanie, la peine de mort peut être requise pour homosexualité ; en Tanzanie, elle est passible d’une peine de prison de trente ans ; au Tchad, d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans. Dans la plupart des pays où l’homosexualité n’est pas explicitement criminalisée, la discrimination, la violence et la stigmatisation à l’encontre des personnes homosexuelles sont courantes. Récemment, le corps d’un jeune homme, suspecté d’avoir une sexualité criminalisée au Sénégal, a été déterré et publiquement brûlé. Les homologues diplomatiques du continent critiquent l’approche française de promotion des droits des personnes LGBT+, jugée intrusive et parfois contre-productive, comme en témoigne la mésaventure récente de l’ambassadeur français pour les droits des personnes LGBT+, lesquel s’est vu refuser son visa pour assister à une conférence annoncée sur ce sujet au Cameroun. La tenue de cette conférence dans un pays où l’homosexualité est passible de six ans d’emprisonnement a été considérée, dans toute l’Afrique, comme une provocation. Il ne s’agit nullement d’accepter cette situation ni de renier nos valeurs, bien au contraire, mais d’adapter nos pratiques et nos discours aux contextes locaux pour les rendre audibles et acceptables par les populations locales, afin de ne pas agir, à l’étranger, comme si nous étions en France.

Il faut ainsi reconnaître que le mode opératoire diplomatique de la France n’est pas efficace. En Angola, une tribune engagée, publiée par un diplomate étranger sur ce sujet, a conduit à des arrestations dans la communauté LGBT+, démontrant que l’ingérence n’était pas de mise dans ce pays. C’est là une réalité qu’il faut pleinement prendre en compte.

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