mai 2, 2024
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AFRIQUE : Repenser la politique française

«Après l’échec sahélien, repenser le logiciel de la politique française en Afrique ». C’est le titre d’une étude publiée par le département «Afrique Subsaharienne », de l’Ifri.

Les condamnations de la politique française ont pris de l’ampleur ces dernières années en Afrique francophone. Les griefs évoqués sont multiples (interventions militaires, persistance du franc CFA, politique d’aide au développement, politique des visas restrictive, etc.) et la contestation raisonnée, qui portait sur les éléments objectifs de la politique française en Afrique qualifiée par certains de « néocoloniale », s’est transformée en diatribe anti-française sur les réseaux sociaux et dans les propos simplistes des néo-panafricanistes. Dans ce contexte, les relations entre la France et trois pays sahéliens ont été remises en cause en l’espace de deux ans (2021-2023).

Au Mali, Burkina Faso et Niger – trois pays qui faisaient partie de la coalition anti-djihadiste du G5-Sahel et accueillaient des forces françaises et européennes dans le cadre de la lutte anti-djihadiste –, des militaires ont pris le pouvoir et rompu le partenariat sécuritaire avec Paris (dénonciation des accords de défense les liant à Paris et demande de départ des troupes françaises stationnées sur le territoire). Ils ont non seulement mis fin à l’engagement militaire de la France au Sahel mais aussi à la présence militaire de l’Union européenne (UE) et à celle des Nations unies à travers sa Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Il n’y a plus d’ambassadeur de France ni de troupes françaises dans ces trois pays et Paris a fermé son ambassade à Niamey le 2 janvier 2024.

L’aide publique au développement (APD) française a été suspendue ainsi que les délivrances de visas. En rupture avec la France, les Européens puis les organisations régionales (CEDEAO et UEMOA) qui ont mis en place des sanctions, les trois pays sont en quête de nouvelles alliances et ont envoyé des messages en ce sens à plusieurs pays (Pays du Golfe, Turquie, Iran, Chine, Corée du Nord, etc.) avec plus ou moins de succès pour l’instant. Les juntes malienne et burkinabée se sont également tournées vers la Russie en tant que nouveau partenaire de sécurité, la junte nigérienne l’a fait au début de l’année 2024. Cette rupture brutale et ce revirement d’alliance sont d’autant plus surprenants qu’ils sont le fait d’officiers qui coopéraient avec l’armée française dans le cadre de la lutte contre le djihadisme et avaient, pour certains, été en formation en France.

Malgré les déclarations de la diplomatie française tendant à minimiser ce revers, ce retournement brutal constitue bel et bien une crise. Mais de quelle crise s’agit-il exactement ? S’agit-il d’une crise franco-sahélienne, d’une crise franco-africaine ou d’une crise de la politique africaine de la France ?

La perception d’une crise franco-sahélienne peut se justifier par le fait que, sur 49 pays d’Afrique subsaharienne, seuls trois d’entre eux ont décidé de rompre avec Paris. Au-delà du populisme et du néo-souverainisme affichés par les juntes, censés leur apporter une base sociale, les raisons de ces ruptures avec Paris sont plus complexes. Après une opération Serval au Mali unanimement saluée et la mise en place de l’opération Barkhane en bonne intelligence avec les pays qui formaient, dans le même temps, le G5-Sahel, les divergences politiques et sécuritaires entre Paris et certaines capitales sahéliennes se sont progressivement développées. Si, bien sûr, chaque relation bilatérale avait sa spécificité, notamment du fait que l’essentiel de l’action de l’armée française concernait le territoire malien, deux divergences se sont accentuées : une divergence sur les causes du conflit ; une autre sur la conduite de la guerre. Dans un premier temps, nous reviendrons sur la nature du conflit sahélien et sur ces divergences pour aborder ensuite les conséquences plus larges, pour Paris, de cet échec sahélien et des réflexions préalables à l’établissement d’une nouvelle politique.

De quoi le conflit sahélien est-il le nom ?

La mauvaise gouvernance des exécutifs a rapidement été considérée à Paris comme la principale cause de ce conflit, et ce diagnostic n’a été partagé qu’en apparence par les autorités des trois pays. Très tôt s’est imposée l’idée que ce conflit ne pouvait pas uniquement être gagné sur le terrain militaire et qu’il nécessitait aussi un effort de développement, c’est-à-dire une extension dans les territoires des services publics des États sahéliens et une meilleure prise en charge des besoins des populations.

Dans un premier temps, l’initiative sahélienne de création du G5-Sahel a été saluée par les partenaires non africains. Cette structure a été conçue par les cinq chefs d’États, comme une organisation de développement dotée d’un bras armé. Le G5-Sahel a élaboré en 2016 sa doctrine, la Stratégie pour le développement et la sécurité (SDS), autour de laquelle devaient s’ordonnancer les projets portés par l’organisation. Pour décliner en actions les recommandations de la SDS, le G5 s’est doté d’un outil de programmation pluriannuel, le Programme d’investissements prioritaires (PIP), destiné à orienter les financements des partenaires vers les priorités du G5. Après plusieurs « PIP d’essais » entre 2015 et début 2018, un premier PIP officiel a été adopté en mai 2018 pour la période 2019-2021. Celui-ci prévoyait plusieurs dizaines de projets pour un montant total de 1,9 milliard d’euros. Mais les partenaires multilatéraux sont alors consternés par la faible qualité technique des dossiers, qui n’ont aucune chance d’être acceptés par les bailleurs.

En 2018, soit quatre ans après son lancement, le G5-Sahel n’avait encore pu faire émerger aucun projet notable de ses piliers : gouvernance, résilience et infrastructures. Les présidents et ministres du G5-Sahel ont demandé au Secrétariat permanent de mettre en place des projets à impact rapide, qui se sont matérialisés en 2018 par le Programme de développement d’urgence (PDU), réalisé en étroite association avec l’Alliance Sahel (créée quelques mois plus tôt) et l’Agence française de développement (AFD). Les bailleurs ont pris conscience du manque de sérieux des gouvernements sahéliens dans la conduite de ce PIP et plus largement du manque d’engagement tant était rare la ressource humaine allouée par les cinq pays au G5-Sahel. La création de l’Alliance Sahel, puis de la Coalition pour le Sahel, a consacré le transfert de la coordination des projets de développement censée être assumée par le G5-Sahel aux bailleurs et partenaires et en premier lieu la France.

Côté français, la nécessité de combiner action militaire et effort de développement était formulée officiellement avec l’approche 3D (défense, diplomatie et développement) et la création de l’Alliance pour le Sahel. Cette stratégie ignorait cependant que l’échec du développement au Sahel avait une longue histoire, largement imputable à la prédation des élites qui avaient depuis longtemps saboté les réformes de gouvernance et n’avaient aucune intention de changer de politique. Le surplus d’aide au développement fourni par les bailleurs dans le cadre de cette guerre n’a pas fait exception à cette tendance structurelle et la permanence de la prédation des élites dirigeantes a fini par être de plus en plus visible et agacer les autorités françaises comme les autres partenaires.

Si ce problème n’était pas exprimé durant la présidence de François Hollande, il a fini par être pris en compte et éclater au grand jour sous la présidence d’Emmanuel Macron. La nouvelle rente créée par le conflit a fait l’objet d’importants détournements au vu et au su de tous. Ainsi, au Mali, l’anniversaire fastueux de Moussa Diawara, directeur général de la Sécurité d’État, les frasques d’autres « généraux milliardaires » et l’enrichissement ostentatoire du fils du président Ibrahim Boubacar Keïta n’ont échappé à personne. Au Niger, le détournement de 45 % du budget de l’armée entre 2014 et 2019, et les contrats avec le marchand d’armesAboubacar Hima « Petit Boubé» faisaient scandale. La continuité de la prédation et le détournement de la rente sécuritaire impliquaient de facto l’armée française dans une guerre sans fin où l’on soutenait des régimes corrompus largement à l’origine des causes des conflits.

Au problème de l’évaporation de l’aide et de la corruption des élites se joignait la question cruciale du retour des services publics (et de la qualité de ce retour) dans les zones libérées, ce qui fut demandé par le président Macron lors du Sommet de Pau en janvier 2020. Cette espérance déçue et la difficile relation avec les putschistes maliens ont conduit les autorités françaises à annoncer un désengagement du Mali à l’été 2021. Cette annonce était qualifiée « d’abandon en plein vol» par les autorités maliennes qui se tournaient alors très rapidement vers Moscou et son armée secrète : le Groupe Wagner.

La seconde divergence portait sur la conduite de la guerre. Car, contrairement à la couverture qu’en font la plupart des médias, la guerre au Sahel ne se limite pas à une guerre contre le salafisme-djihadisme. Ainsi, pour le résumer simplement, ce conflit est sous-tendu par plusieurs motivations : « La première est la prise des armes pour renverser des États et des élites honnies et pour installer à la place une nouvelle construction politique (recoupant ou non les frontières nationales existantes) branchée sur un référentiel islamique ; la deuxième est une insurrection contre l’État pour une recherche d’autonomie et/ou pour l’installation d’un rapport de force censé aboutir à une présence améliorée de l’État ; la troisième est une dynamique de confrontation intercommunautaire et/ou de clivages sociaux intracommunautaires, la violence servant ainsi à renégocier des rapports de force et les équilibres politiques locaux afférents. ».

À ces trois dimensions principales viennent se greffer des facteurs qui approfondissent les conflits comme l’économie des trafics ainsi que la multitude de différends fonciers pas ou mal régulés par la puissance publique et/ou les autorités traditionnelles.

Ainsi au Mali, plusieurs conflits s’entremêlent :

-une guerre civile entre les autonomistes/sécessionnistes de l’Azawad (Nord) et le gouvernement en raison de la non-application puis de la dénonciation des accords d’Alger par Bamako ;

-une guerre menée par l’armée malienne, Wagner et différentes milices contre la Katiba Macina (Centre du Mali) et contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), notamment le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM selon l’acronyme arabe) et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) au nord ;

-une opposition frontale entre la mouvance AQMI et l’EIGS au nord-est.

Dans bien des endroits, ces conflits prennent des tonalités ethniques fortes comme au centre du Mali et au nord du Burkina Faso où il y a un fort antagonisme à l’égard des Peuls, très représentés dans la Katiba Macina.

Dans cet entrelacs de conflits, les priorités stratégiques de Paris et des capitales sahéliennes n’étaient les mêmes qu’en apparence– le « plus petit dénominateur commun » étant la lutte contre le djihadisme. Tandis que le gouvernement malien faisait de son mieux pour ne pas appliquer l’accord d’Alger qu’il jugeait trop favorable aux rebelles sécessionnistes, l’armée française se focalisait sur le ciblage du leadership des groupes djihadistes et dans le ratissage sur le terrain mais refusait de s’investir au centre du Mali où les affrontements entre les groupes armés (Dan Na Ambassagou, Chasseurs, Katiba Macina) présentent de fortes colorations ethniques.

Initiée en 2021, la rupture franco-malienne a ensuite eu un effet de domino et précipité les deux autres. Au Burkina Faso, le putsch ayant conduit à l’éviction du colonel Damiba par le capitaine Traoré en septembre 2022 a abouti à des manifestations anti-françaises et à la demande de départ des troupes françaises. Aux éléments de divergence déjà décrits ci-dessus s’ajoutaient des demandes de livraison d’armes auxquelles les autorités françaises n’ont pas accédé. L’incompréhension, côté burkinabé, fut d’autant plus profonde que les autorités estimaient qu’elles affrontaient une crise existentielle pour le pays et qu’Européens et Français, parallèlement, armaient massivement l’Ukraine. Un scénario de rupture encore plus prompt a suivi au Niger après le putsch du général Tiani le 26 juillet 2023 (les accusations publiques contre Paris, les manifestations et la demande de départ des troupes françaises sont apparues dès les premiers jours). Après la présence militaire, la présence économique de la France est maintenant remise en question dans ces pays où on envisage dorénavant la sortie de la zone franc.

Au-delà du Sahel : repenser le logiciel

Si la géographie de ces crises diplomatiques se limite jusqu’à maintenant au Sahel, ce n’est pas le cas du ressentiment contre Paris. La dénonciation de la politique française en Afrique est devenue un lieu commun et une ressource politique dans toute l’Afrique francophone, avec toutefois des intensités variables. Le « complot de la France contre l’Afrique » est devenu une figure obligée des débats médiatiques africains popularisée par les réseaux sociaux. Paradoxalement, aussi bien les opposants que les gouvernants l’utilisent comme une ressource politique : les premiers pour arriver au pouvoir, les seconds pour le conserver. Des jeunes opposants en vogue comme Succès Masra au Tchad et Ousmane Sonko au Sénégal flirtent avec ce sentiment populaire en fonction des circonstances, tandis que les pouvoirs en mal de popularité l’instrumentalisent à souhait (l’ex-président Alpha Condé en Guinée, Félix-Archange Touadéra en Centrafrique, etc.). Dans des pays aussi différents que le Tchad et le Sénégal, les oppositions dénoncent la proximité, voire la collusion, de Paris et du pouvoir en place tandis que, dans ces mêmes pouvoirs, règne une hostilité sourde contre Paris. En Afrique francophone, la politique française est décriée comme la source de tous les maux (conflit, pauvreté, sous-développement…) et sa remise en cause comme une preuve de courage politique et de « seconde indépendance ». Cette évolution est d’autant plus forte que le discours anti-français est aussi une composante d’un discours anti-occidental revigoré. Les thèmes de ce discours relayé ad nauseam par les réseaux sociaux sont bien connus car anciens : Occident exploiteur, Occident donneur de leçons (sur la gouvernance, sur la protection de la nature, etc.), Occident hypocrite avec ses doubles standards moraux ou encore Occident décadent moralement et promoteur de l’homosexualité.

En fonction des pays, l’opinion publique oscille entre demande de distanciation ou de rupture, forçant la diplomatie française à faire désormais profil bas en Afrique francophone quand la compétition géostratégique s’accentue sur le continent et quand l’ancienne Françafrique a cédé la place aux compétiteurs Chinois et Russes.

Les répercussions de cette évolution des relations franco-africaines se font sentir bien au-delà de l’Afrique. Le crédit de la diplomatie française est diminué sur la scène internationale car deux rôles traditionnels de la France sont remis en question : celui de sauveteur et d’avocat.

Du XXe au XXIe siècle, la France est passée en Afrique francophone du rôle de gendarme, garant de la stabilité des régimes alliés, à celui de sauveteur, chargé d’éviter que le pire arrive. Quand l’UE s’est essayée au maintien de la paix dans plusieurs guerres civiles africaines au début du siècle (République démocratique du Congo, Tchad, Centrafrique), la France a joué à chaque fois le rôle de nation-cadre. Avec l’opération Barkhane, elle est devenue le fer de lance de la lutte des Occidentaux contre le salafisme-djihadisme au Sahel et a appuyé l’engagement de troupes européennes dans cette lutte (notamment la force européenne Takuba). Sortie de ce champ de bataille par trois gouvernements africains, la France voit cette tacite division du travail sécuritaire au sein des pays occidentaux remise en cause et sa présence militaire en Afrique délégitimée au point que plusieurs capitales européennes (Berlin, Rome, Budapest) envisagent désormais une certaine forme d’engagement militaire en Afrique sans laFrance. De plus, le traditionnel partage des tâches né pendant la guerre froide entre alliés occidentaux (où les Américains laissaient à Paris le rôle de gendarme de l’Afrique francophone) est de facto remis en cause, Washington s’engageant de plus en plus dans le domaine de la sécurité avec, comme le montre la récente mésaventure nigérienne, plus ou moins de bonheur. Enfin, le rôle de nation-cadre de la France sur les questions de sécurité était accepté parce que Paris pouvait proposer à ses partenaires africains son influence et son savoir-faire dans les instances internationales (onusiennes, mais également africaines et européennes) pour défendre certains dossiers, bâtir des coalitions et créer un consensus diplomatique. Parallèlement, depuis plusieurs décennies, la diplomatie française s’est efforcée de jouer un rôle pivot dans les rapports Nord-Sud en se faisant l’avocate d’une politique de solidarité internationale dans les instances multilatérales (G20, Nations unies, UE, etc.). Sous la présidence Macron, ce rôle a continué à être revendiqué et s’est traduit par différentes initiatives dont une des plus importantes a été l’organisation du Sommet sur le financement des économies africaines (mai 2021) et du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial (juin 2023). Cependant, le rejet accusatoire de Paris par certaines opinions publiques africaines risque de remettre en question ce rôle qui, bien que moins visible que les interventions militaires, n’en est pas moins important pour le statut de la France. Au total, cette crise diplomatique sahélienne résonne non seulement à Dakar, Bamako et Abidjan mais aussi à Bruxelles, Washington et New York, où elle affecte la position diplomatique de la France.

L’invention d’une nouvelle politique africaine est une erreur à éviter. En effet annoncée par chaque majorité politique depuis 1981, cette réinvention sonne désormais comme un poncif usé. Par ailleurs, la suspicion réciproque actuelle n’est pas propice à une politique volontariste – aussi novatrice soit-elle – ou à une nouvelle offre de partenariat à destination de l’Afrique. Le travail mémoriel entamé, de même que les efforts pour toucher la jeunesse et les classes populaires, via le sport et les productions culturelles, si elles sont utiles, ne peuvent pas transformer à court et même à moyen termes les perceptions négatives dominantes.

Au lieu d’avoir comme point de départ la défense des intérêts français en Afrique francophone, les décideurs français devraient d’abord évaluer objectivement ces intérêts. Qu’ils soient sécuritaires, économiques ou culturels, ces intérêts devraient être clairement identifiés plutôt qu’être considérés comme une évidence indiscutable ou un secret inavouable. Cela permettrait d’éviter les fantasmes politico-historiques (« la vocation africaine de la France »), d’établir une analyse coût-bénéfice et de clarifier le débat. Au XXIe siècle, repenser les intérêts de la France en Afrique ne devrait pas être un tabou mais une nécessité. À titre d’exemple, parmi les cinq premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique, aucun n’est issu de la zone franc. La Côte d’Ivoire, qui est le pays subsaharien francophone le plus dynamique économiquement, est le 9e partenaire commercial de Paris sur le continent, loin derrière l’Afrique du Sud et le Nigeria. Ce travail de réévaluation qui a trop tardé présuppose toutefois de régler préalablement trois problèmes franco-français : la déconnexion entre l’analyse et la politique, la culture du paternalisme, et la contradiction entre la politique migratoire et la politique africaine.

Primo, il serait erroné de croire que la dégradation des relations franco-africaines n’avait pas été anticipée. D’une part, en général, l’essoufflement de la politique africaine, concomitamment à l’émergence de nouvelles générations politiques et à l’intensification de la compétition internationale, n’était pas passé inaperçu. D’autre part, en particulier, les impasses de la guerre française contre le salafisme-djihadisme au Sahel avaient été identifiées. Il y a donc matière à s’interroger sur la déconnexion entre l’analyse et la politique. Dans la Ve République, régime qui consacre la puissance de la figure présidentielle, la politique étrangère est un domaine réservé du président et la politique africaine, davantage. Cette situation a ceci d’insolite qu’elle permet au chef de l’État d’ignorer toutes les analyses dissonantes, qu’elles soient institutionnelles, académiques ou autres. Cette évolution vers une hyperprésidence et la conduite de la politique africaine dans le huis clos élyséen ont participé à l’échec de la nouvelle politique africaine annoncée par le président Macron en 2017. Le Rapport d’information sur les relations entre la France et l’Afrique, coordonné par les députés Michèle Tabarot et Bruno Fuchs et rendu public en novembre 2023, revient très largement sur ce constat, plaidant pour « décloisonner le domaine réservé pour en faire un domaine partagé28 ».

Deuxio, si le paternalisme est l’héritage d’un passé colonial lointain, cette culture est encore bien vivante et n’est pas seulement un problème générationnel, contrairement à ce qu’on pourrait intuitivement croire. Ainsi deux des plus jeunes présidents de la République se sont illustrés dans ce domaine : l’un en expliquant doctement à Dakar que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », l’autre en multipliant les faux-pas diplomatiques (Burkina Faso, République démocratique du Congo, Comores). La politique africaine doit se débarrasser d’un certain paternalisme culturel qui nuit à l’image de la France, des paroles malheureuses pouvant réduire en quelques secondes à néant des années d’efforts politiques.

Tertio, en France, la grande majorité des immigrés proviennent du continent africain. Si le Maghreb est la première région d’origine des immigrés, l’Afrique subsaharienne est la seconde. De ce fait, la posture anti-immigration adoptée par une grande partie de la classe politique française tranche avec les discours sur la « communauté de destin », la coopération et la solidarité entre les deux rives de la Méditerranée souvent tenus par la même classe politique. Au quotidien, la volonté d’entretenir une coopération économique et culturelle vivante se heurte au parcours du combattant qu’est devenue la demande d’un visa dans les consulats français. Le démenti que la politique des visas inflige au discours sur le partenariat met en évidence la contradiction entre la politique africaine et la politique migratoire de la France. Vouloir réduire l’immigration essentiellement d’origine africaine en France et, en même temps, vouloir un partenariat renforcé avec le continent le plus pauvre du monde est un impensé problématique de notre relation à l’Afrique.

Alain Antil est chercheur et directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri. Il travaille sur les questions politiques mauritaniennes, sur les questions de sécurité au Sahel et participe aux travaux de son équipe sur la recomposition de la place de l’Afrique subsaharienne dans les relations internationales.

Thierry Vircoulon est chercheur associé à l’Ifri. Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA) et titulaire d’un master en science politique de la Sorbonne, il a travaillé pour le Quai d’Orsay et la Commission européenne et a été directeur Afrique centrale pour International Crisis Group.

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