mai 2, 2024
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Crise au Sahel : en Côte d’Ivoire, les diasporas du Mali, du Burkina Faso et du Niger scrutent l’horizon

REPORTAGE. Depuis l’annonce des trois juntes qui gouvernent ces pays de quitter la Cedeao, l’inquiétude ne faiblit pas au sein de leurs communautés présentes en Côte d’Ivoire.

En Côte d’Ivoire, 22 % des habitants n’ont pas la nationalité ivoirienne, selon un recensement de 2021. Parmi eux, de nombreux membres des communautés burkinabée, malienne et nigérienne qui représentent à elles seules plus de 6 millions d’individus parfois installés depuis plusieurs générations. C’est dans ce contexte qu’ont été accueillies les récentes levées de sanctions de la part de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Auprès de ces diasporas, les réactions sont mitigées, si certains envisagent le futur des relations régionales avec beaucoup d’optimisme, d’autres commencent à être gagnés par la peur devant une situation politique tendue qui pourrait compromettre leur avenir.

Pour rappel, le 24 février dernier, l’organisation régionale avait décidé de lever les lourdes sanctions visant jusqu’alors la République du Niger. Le pays a ainsi vu ses frontières et son espace aérien rouvrir. Les transactions financières avec d’autres États membres ont également pu reprendre. Dans la foulée, la Guinée et le Mali avaient également fait l’objet d’un allégement de sanctions plus politiques : les dirigeants guinéens ont vu leurs avoirs dégelés et les ressortissants maliens sont de nouveau éligibles à des postes au sein de la Cedeao. Parmi les pays en transition dans la zone sahélienne, seul le Burkina Faso n’avait pas été concerné par ces annonces.

Entre soulagement et retenue

Un peu plus d’un mois après les annonces, bon nombre de voix restent discrètes, et l’on préfère bien souvent éviter ce sujet jugé sensible. Pour la plupart des Burkinabés et des Maliens de Côte d’Ivoire, l’heure est encore à la retenue et l’observation. Pourtant, les premières pensées d’Yves, un quadragénaire burkinabé bien implanté dans le secteur du tourisme, vont pour la population du Niger : « C’est un grand soulagement pour les Nigériens car, comme d’habitude, c’est le peuple qui a le plus souffert des discordes entre dirigeants. » La Cedeao avait d’ailleurs justifié cette première levée de sanctions par des « raisons humanitaires ». La reprise des échanges aux frontières devrait en partie remédier à la crise alimentaire qui touche actuellement de nombreux foyers nigériens.

Hamed Savadogo, président du Conseil national de la jeunesse burkinabée en Côte d’Ivoire, se réjouit quant à lui des avancées pour la Guinée, le Mali ainsi que le Niger bien que le Burkina Faso en soit exclu. Il voit dans ces annonces une possibilité pour l’Alliance des États du Sahel (AES) de revenir à la table des négociations ; organisation qu’il ne manque pas par ailleurs de fustiger : « Ce repli de plusieurs États est une bombe à retardement en Afrique de l’Ouest, leur identité politique se fonde sur du ressentiment et des velléités. Que pouvons-nous construire avec cela ? »

Par-delà les opinions, une volonté de dialogue

Qu’importe le positionnement politique de chacun, les Burkinabés et les Maliens de Côte d’Ivoire semblent s’accorder sur ce point : éviter une situation de blocage. Tous les interrogés espèrent une reprise rapide du dialogue entre les autorités de leur pays d’origine et la Cedeao. Ils entendent ainsi conserver leurs droits conférés par l’appartenance à une même organisation. C’est le cas, par exemple, de nombreux étudiants maliens de Côte d’Ivoire dont les représentants avouent à demi-mot que si le statut des étrangers venait à changer, les conditions d’études pour les jeunes de leur communauté s’en trouveraient dégradées. En cause, les frais de scolarité qui pourraient augmenter et de nouvelles conditions de résidence.

Ce dernier point est une préoccupation majeure, à savoir une possible remise en cause de la « liberté de circulation et de résidence » permise jusqu’alors par l’organisation ouest-africaine. Maliens et Burkinabés craignent, en effet, de devoir un jour s’acquitter d’onéreux frais pour obtenir un titre de séjour : « 300 000 francs CFA chaque année seraient une charge insurmontable pour de nombreux travailleurs précaires, comme ceux du secteur agricole », confie Yves.

La peur d’être stigmatisé

À l’instar de M. Savadogo, beaucoup redoutent les potentielles répercussions sur leur communauté en cas de rupture politique : « On ne peut pas envisager une fracture entre nos peuples, tout nous rassemble, à commencer par les frontières. Si demain, nos ressortissants ne sont plus autorisés à vivre librement en Côte d’Ivoire, nous craignons qu’ils puissent être stigmatisés par la population et qu’ils subissent plus d’inégalités de traitement au quotidien. »

Ce délégué de la communauté burkinabée de la région de San Pedro fait également le parallèle avec les crises politiques successives qui ont émaillé l’histoire du pays : « Nous, les Burkinabés de Côte d’Ivoire, nous avons vécu des moments douloureux de 1999 à 2011. Des proches ont perdu leurs biens quand d’autres ont perdu la vie. On sait ce que produisent les crises, nous ne voulons plus de tout ça. »

Hamed Savadogo dans son bureau à Abidjan. © Hadrien Degiorgi

Quand le doute s’installe

Parmi les interlocuteurs interrogés, beaucoup se montrent sceptiques quant à la possibilité d’une véritable sortie de la Cedeao. Les arguments avancés sont l’enracinement profond de ces larges diasporas ainsi que leurs poids économiques dans l’équilibre de la Côte d’Ivoire et de la région ouest-africaine.

À cet égard, le Centre de promotion des investissements privés de Côte d’Ivoire (Cepici) révélait, le 22 février dernier, l’identité du premier investisseur direct qui n’était autre que le Burkina Faso pour l’année 2023. Maïga, un agent portuaire malien basé à Abidjan l’assure, les échanges économiques sont trop importants pour être limités : « Depuis le début des tensions, les liens commerciaux qui unissent la Côte d’Ivoire et le Mali n’ont jamais été affectés. »

D’autres sont quant à eux moins optimistes, comme Yves qui rappelle les attentes démocratiques de la Cedeao que les juntes au pouvoir peinent à satisfaire. En l’état, ce dernier ne voit pas d’annonce d’élections libres au Burkina Faso et au Mali tant que l’intégrité territoriale de ces pays en proie au terrorisme ne sera pas rétablie.

Entre volonté de dialogue et velléités de leurs dirigeants, le doute s’installe durablement auprès des diasporas de Côte d’Ivoire.

Le Point Afrique

 

 

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