Le président Macky Sall, a fait face hier à nos confrères de France 24 et de RFI. Depuis Paris, il est revenu sur sa récente visite à Sotchi, en Russie, au cours de laquelle il a demandé à Vladimir Poutine de « prendre conscience » que l’Afrique était victime du conflit en Ukraine, du fait du danger d’une crise alimentaire mondiale. Macky Sall a également commenté la situation politique du Sénégal marquée par la grande mobilisation initiée par la coalition Yewwi pour dénoncer sa mise à l’écart en vue des prochaines législatives. Sur ce dernier point Macky Sall répondra : « Pourquoi quand l’opposition fait face à une décision non favorable, elle veut appeler à la fin du monde ? Ce n’est pas comme cela qu’on respecte la démocratie ». L’interview est repris dans cet article.
Monsieur le président, le 3 juin, vous avez rencontré le président Russe Vladimir Poutine, afin de plaider en faveur de corridor alimentaire pour l’exportation du blé, des céréales, des engrais. La question qui se pose est celle de la crainte de famine, de crise alimentaire. Mais est-ce qu’il n’y a pas d’autres sources d’approvisionnement en Afrique ? Aussi, le secrétaire général de l’ONU n’exagère-t-il pas quand il parle d’un ouragan de famine ?
Lorsque je me suis rendu à Sotchi au nom de l’Afrique, c’est parce que nous vivons déjà cette pénurie de céréales sur le continent, nous vivons également cette pénurie d’engrais. Vous savez que l’agriculture africaine est une agriculture peu productive du fait de la faible utilisation de l’engrais. Nous sommes en moyenne à 17 kg à l’hectare, au moment où l’Europe en est à 100 Kg à l’hectare. On avait déjà une agriculture peu productive, aujourd’hui où le prix de l’engrais est multiplié par 3 en Afrique. Quand j’ai été voir le président Poutine, j’avais trois messages à lui apporter, au nom de l’Afrique. Le premier message c’est qu’il fallait aider à impérativement libérer les céréales d’Ukraine, à partir de la mer noire par le port d’Odessa et que la Russie ne crée pas de difficulté à cette exportation. La deuxième demande, c’est que nous voulons accéder aux céréales russes et surtout aux engrais ; Tout ce qui est ammoniac, potasse, ou urée, des éléments importants qui étaient achetés en Russie. Enfin la troisième demande, c’est que nous souhaitons la fin de la guerre, nous souhaitons une désescalade. Pour cela nous demandons au président Poutine d’engager des discussions avec l’Ukraine mais aussi avec les autres parties qui aujourd’hui, sont parties prenantes de ce conflit.
Donc le secrétaire général de l’ONU n’exagère pas. C’est vraiment une réalité que si les engrais n’arrivent pas alors que l’hivernage s’est déjà installé, dans la plupart des pays africains, il n’y aura pas de récolte. Il y a déjà assez de difficultés avec le blé, si en plus les céréales locales ne sont pas produites, oui on sera dans une situation de famine très sérieuse qui pourrait déstabiliser le continent
A l’issue de cette rencontre, vous avez dit que vous étiez rassuré. Mais pour le moment, il n’y a aucune solution viable, ni par la mer noire, ni par d’autres routes. Est-ce qu’une semaine après, vous n’avez pas l’impression que vous avez été trop optimiste ?
Non, je demeure optimiste. Je suis d’autant plus rassuré que, ce que le président Poutine m’a dit devant le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki, son ministre des affaires étrangères l’a rappelé avant-hier à Istanbul. « La Russie s’engage si le déminage des eaux du port d’Odessa est assuré. Si les conditions de contrôle des bateaux sont faites. Alors, il ne poserait aucun acte contre la sortie du blé ukrainien ». Il s’est même engagé en disant que si l’Ukraine veut utiliser d’autres ports, il pouvait assurer les corridors de sécurité.
Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas d’élément me permettant de contredire cela. Il faut maintenant travailler à ce que le déminage soit fait, que l’ONU s’implique avec toutes les parties prenantes pour qu’on arrive à sortir le blé Ukrainien.
Alors Vladimir Poutine vous a dit qu’il allait laisser sortir le blé ukrainien, mais à une condition : que les occidentaux lèvent les sanctions contre la Russie…
Non pas du tout. Cela n’est pas conditionné aux sanctions contre la Russie.
Il vous l’a demandé quand même…
Non. Cela c’est par rapport aux produits russes. Mais l’exportation des graines par la mer noire c’est une possibilité parmi d’autres moyens plus difficiles peut-être.
Mais, est-ce que le président Russe n’a pas demandé une levée, au moins partielle, des sanctions contre la Russie ? Est-ce que vous allez demander cela à Emmanuel Macron que vous allez rencontrer ce vendredi et à d’autres leaders occidentaux ?
Non. Sur l’accès aux produits russes, les pays africains sont confrontés à la difficulté générée par les sanctions sur le système de payement SWIFT. A partir du moment où nos banques sont liées aux banques européennes, pour la plupart, elles ne peuvent pas payer comme elles le faisaient traditionnellement. Alors que la Russie continue à commercer avec d’autres Etats comme la Chine, les Etats-Unis en ce qui concerne les engrais, et même avec l’Europe sur le gaz. Mais nous africains, on ne le peut pas du fait du système de payement.
C’est pourquoi j’ai dit qu’on n’accuse pas l’Europe d’avoir mis des sanctions sur les céréales, mais sur le SWIFT et sur certains producteurs de céréales et d’engrais, lesquelles font que les banques ne veulent pas travailler avec eux. Du coup, on a d’une part la guerre qui a créé cette situation et d’autre part, les effets des sanctions qui font qu’on a des difficultés d’approvisionnent. Il faut alors, avec nos partenaires européens, trouver un moyen de lever cette difficulté, réguler le marché et assurer un approvisionnement correct en céréale mais surtout en fertilisant.
Pendant cette rencontre de Sotchi, vous avez rappelé à votre homologue russe que la majorité des pays africains, dont le Sénégal, avaient évité de condamner la Russie aux Nations-Unis. Vous avez même ajouté, « malgré d’énormes pressions ». On imagine peut-être Emmanuel Macron dans la coulisse…
Ça c’est vous qui l’imaginez. Non Emmanuel Macron n’a posé aucune pression, en tout cas, pas sur le Sénégal. Je le dis très honnêtement.
Est-ce que vous ne craignez pas, monsieur le président, d’apparaitre comme le complice d’un pays qui a envahi son voisin et qui est accusé de crime de guerre… ?
Et qu’est-ce qui ferait de moi un complice ? Le fait d’avoir été en Russie… ?
Non cette abstention à l’ONU
L’abstention est un vote. C’est une position. Cela veut dire que je ne vote ni pour, ni contre. Dans un vote, il y a le Oui, le Non ou l’abstention. Il ne faut pas aller vite en besogne sur les positions de vote des Etats. Nous avons des opinions dont il faut tenir compte. Sur la Russie par exemple, au conseil des droits de l’homme à Genève, nous avons voté oui pour la création d’une commission d’enquête. Donc cela dépend parfois des votes. Il y a des votes où nous votons oui si ça nous parait conséquent et cohérent. Mais quand nous ne trouvons pas le vote cohérent ou quand nous ne voulons pas prendre position, nous nous abstenons. Cela n’a rien à voir avec un alignement en faveur de la Russie ou pas.
D’un point de vue moral, est-ce pour vous, dans cette guerre il y a un agresseur et un agressé
Bien sûr. Si vous regardez mes tweets et même au-delà… Avec le président de la Commission de l’Union Africaine, Moussa Faki, nous avons fait un communiqué conjoint condamnant l’intervention et exigeant le respect de la souveraineté de l’Ukraine. Cela ne veut pas dire que je ne dois pas parler à la Russie lorsque je considère que le marché est bloqué parce que d’une part l’un des grands fournisseurs qui est l’Ukraine, n’arrive plus à exporter. C’est mon devoir et le devoir des africains de sensibiliser le président Poutine. Sur ce fait, lui demander d’agir de concert avec les Nations-Unies pour que cette contrainte soit levée. C’est aussi notre devoir d’attirer l’attention sur ceux qui ont posé les sanctions. Leur rappeler qu’il y a des conséquences de ces sanctions qui nous empêchent aujourd’hui d’accéder aux approvisionnements sur des produits essentiels.
A votre retour de Sotchi, vous avez dit que vous alliez vous rendre à Kiev pour rencontrer le président Zelenski. On savait que cela devait se faire et finalement cela ne s’est pas fait. Est-ce que vous êtes toujours le bienvenu à Kiev, Monsieur le Président ?
D’abord, je n’ai jamais été invité à Kiev. J’ai juste eu la volonté parce que je voulais me mettre dans une position de neutralité. Mais, l’Ukraine nous a demandé de communiquer avec l’Union Africaine. J’ai transmis cette volonté du président Zelenski. Le Bureau élargi de l’UA a accepté cette demande, tout comme elle m’a chargé d’aller voir le président Poutine pour lui donner les positions de l’Afrique et clamer ce que j’ai dit précédemment. Donc, nous allons organiser dans un bref délai cet entretien entre le président Zelenski et les leaders africains. Après cela, s’il s’avère qu’il nous invite, nous irons à Kiev avec plaisir comme nous nous sommes rendus à Sotchi.
Au Sénégal, l’opposition Yewwi Askan Wi a manifesté pacifiquement mercredi dans les rues de Dakar, mais a menacé de tout faire pour empêcher la tenue des législatives du 31 juillet si ces leaders, notamment Ousmane Sonko, sont exclus du scrutin. Alors, si une solution n’est pas trouvée pour la liste nationale de l’opposition qui est actuellement invalidée, est-ce que vous ne craignez pas un embrasement de la rue comme cela s’est passé à Dakar en mars 2021 ?
Il faut éviter de prendre mars 2021 comme une référence absolue. L’élection législative est organisée par un code électoral et un système électoral qui existe au Sénégal, qui fait la fierté du Sénégal. Si on est un pays stable justement ce n’est pas le fait d’un hasard. Ce n’est pas la première fois qu’on organise les élections. Nous avons un système électoral qui est le produit de concertations, de consolidation, dont le dernier est ce code qui vient d’être enregistré et qui a fait l’objet de discussions pendant 16 mois et qui a abouti à ce qui a aujourd’hui permis d’aller vers ces élections législatives.
Mais nous avons un code avec ses exigences. Par exemple la loi sur la parité. Le Sénégal ne peut pas aller en arrière. Une liste qui n’est pas paritaire n’est pas recevable. Un point un trait. Ça, c’est la loi. Elle est dure mais c’est la loi.
Pour ce qui sont des menaces sur la non tenue des élections, ça c’est devant nous. De toute façon, le pays va faire ses élections. Le conseil constitutionnel à décidé et nous nous sommes soumis. Il y a 15 jours, la liste Yewwi de Dakar n’était pas recevable. Le Conseil a fait une interprétation et a ordonné au ministre de l’intérieur de la respecter. Le ministre s’est incliné. Il a reçu les corrections et aujourd’hui, leur liste à Dakar va compétir parce que c’est la décision qui s’impose pour tout le monde.
Pourquoi quand l’opposition fait face à une décision non favorable, elle veut appeler à la fin du monde ? Ce n’est pas comme cela qu’on respecte la démocratie.
Oui mais, il peut y avoir des blocages
S’il y a des blocages, s’il y a des difficultés, elles se géreront conformément aux lois et règlements du pays.
Yaye Moussou TRAORE
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