mai 19, 2024
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PR HALIDOU TINTO, PHARMACIEN : « Le R21 va changer le visage de la lutte contre le paludisme en Afrique »

ENTRETIEN. Acteur central dans le processus d’homologation du vaccin antipaludique R21, le professeur burkinabé Halidou Tinto a répondu au « Point Afrique ».

Après le Nigeria et le Ghana, le Burkina Faso est récemment devenu le troisième pays, via son Agence nationale de régulation pharmaceutique (ANRP), à homologuer le vaccin antipaludique R21/Matrix-M. L’homologation du R21 par un troisième pays intervient avant même que l’OMS ne statue sur ce vaccin. Cela dénote l’urgence de recourir à un vaccin perçu comme un salut. Il faut dire que les autres moyens de lutte contre la maladie (moustiquaires, médicaments, etc.) n’ont pas empêché d’enregistrer, en 2021, pas moins de 247 millions de cas dans le monde, dont 95 % en Afrique.
S’il en reste un qui pense que le R21 inspiré d’un autre vaccin, le RTS, S, va accélérer l’élimination du paludisme, c’est le Pr Halidou Tinto. Ce pharmacien est celui qui a été l’acteur principal des recherches des phases 2 et 3 du R21. Il est directeur de l’Unité de recherche clinique de Nanoro au Burkina qui en a assuré les études cliniques, depuis mai 2019, en partenariat avec trois autres institutions : l’université d’Oxford au Royaume-Uni, l’Institut du sérum d’Inde et la firme américaine Novavax.
Qu’est-ce que le R21 va changer dans la gestion du paludisme au Burkina Faso ? Comment soutenir le développement de la recherche sur les maladies tropicales ? Autant de questions parmi d’autres auxquelles le Pr Halidou Tinto a accepté de répondre. En attendant, ce directeur de recherche en parasitologie à l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) du Burkina aura eu le temps d’être lauréat 2021 du prix « The Name in Science » de l’Academic Union d’Oxford et d’être désigné meilleur chercheur en sciences de la santé de l’année 2021, selon l’International Achievements Recsearch Center.
Le Point Afrique : Le vaccin antipaludique R21 vient d’être homologué au Burkina Faso dans le sillage du Ghana et du Nigeria. Qu’est-ce que cela va changer, ici, dans la gestion de la maladie ?
Pr Halidou Tinto : Il faut d’abord dire que le R21 est d’une efficacité de 75 %. Cette efficacité n’a jamais été rapportée dans l’histoire de la vaccinologie contre le paludisme. Cela veut dire qu’on doit pouvoir, avec ce vaccin, réduire le paludisme de 75 %, ce qui est énorme. Ce vaccin, s’il est introduit, va donc certainement changer le visage de la lutte contre le paludisme en ce sens qu’il viendra réduire de façon considérable les cas de la maladie et permettre d’accélérer l’agenda de son élimination qui est projeté pour les années 2030. L’impact sera donc important du point de vue de la santé publique pour nos populations.
Pouvez-vous nous décrire le parcours scientifique de ce vaccin mis au point avec le concours de l’université d’Oxford au Royaume-Uni, de l’Institut du sérum de l’Inde et de l’Unité de recherche clinique de Nanoro au Burkina que vous dirigez ?
La protéine vaccinale du R21 a été fabriquée et synthétisée par l’université d’Oxford au Royaume-Uni. Celle-ci s’est inspirée de la protéine RTS, S, cet autre vaccin qui a été homologué en 2021 par l’OMS et qui va être déployé dès l’année prochaine dans différents pays. Les chercheurs de l’Université d’Oxford se sont intéressés à l’amélioration du RTS, S.
Après y être parvenue, l’université a approché l’Unité de recherche clinique de Nanoro du Burkina, en tant que centre spécialisé dans les essais cliniques, pour un partenariat afin que nous puissions expérimenter ce vaccin et dire s’il est bon et utilisable de façon sûre sur les enfants. C’est en cela que nous avons initié la phase 2 du vaccin et cela a abouti, une année après, au résultat de 77 % d’efficacité. Nous avons ensuite évolué en phase 3, qui est celle qui précède la mise sur le marché du vaccin.
Et c’est dans cette perspective de mise sur le marché qu’intervient l’Institut du sérum d’Inde qui est le plus grand producteur de vaccins au monde avec pas moins de 4 milliards de doses, toutes maladies confondues, par an. En dehors de ces trois acteurs, il y a un quatrième, à savoir la firme américaine Novavax qui est le détenteur de l’adjuvant que nous avons utilisé. Cet adjuvant s’appelle Matrix-M, d’où le nom complet du vaccin R21/Matrix-M. Le rôle de l’unité de recherche a surtout été la phase d’expérimentation et de démonstration de l’efficacité et de la sécurité de l’utilisation du vaccin.
Comment peut-on expliquer qu’on ait mis autant de temps pour arriver à ce résultat alors que le paludisme est l’une des principales causes de mortalité en Afrique depuis longtemps ?
Le temps mis est lié essentiellement à deux choses.
La première est que nous estimons, en tant qu’acteurs de la recherche, que les moyens mis à la disposition des équipes de recherche qui travaillent sur le paludisme ne sont pas suffisants. Ce qui veut dire qu’il faut y mettre plus de ressources. Ce que peut coûter une recherche clinique, c’est beaucoup d’argent. Si on prend une protéine, le RTS, S par exemple, qui a été financée par la Fondation Bill & Melinda Gates, son développement a coûté plus de 250 millions de dollars. Nos États, comme vous le savez, sont pauvres et ont beaucoup de priorités, ce qui ne leur laisse pas la possibilité d’investir autant d’argent. Si bien qu’aujourd’hui la recherche menée sur le paludisme est financée à 90 %, voire 99 %, par des fonds extérieurs à l’Afrique qui, pourtant, porte le plus lourd fardeau.

Le vaccin R21 va incontestableme6nt améliorer la prévention du paludisme dans les pays qui l’auront adopté. L’homologation de l’OMS est vivement attendue dans le sillage du vaccin RTS.S, sa devancière, dont une dose est inoculée ici, le 7 mars dernier, à un enfant dans un dispensaire à Gisamba, au Kenya. © YASUYOSHI CHIBA / AFP

La seconde, qui fait que l’on ait mis autant de temps, c’est la complexité du parasite. Je rappelle que ce parasite est un micro-organisme, un agent pathogène très complexe, avec 14 chromosomes, soit 8 000 gênes. C’est beaucoup. Il y a des gênes pour des fonctions que personne ne connaît et il faut chercher à décortiquer tout cela.
À cela, il faut ajouter le cycle même du paludisme : le moustique vous pique, vous injecte le parasite, le parasite transite par le foie, quitte cet organe et entre dans la circulation du sang, essaie de rentrer dans les globules rouges qu’il quitte avant qu’un autre moustique vienne le prendre et le réinjecte à une nouvelle personne.
Il y a donc plusieurs stades et il faut pouvoir tacler le parasite à chacun de ces stades. C’est cette complexité qui fait que depuis des recherches sont menées et ce n’est que très récemment qu’on a commencé à voir le bout du tunnel avec notamment le RTS, S qui a été recommandé en 2021 par l’OMS et le R21 qui vient d’être homologué par trois pays pour une utilisation à grande échelle.
Vous parlez d’utilisation à grande échelle du R21 par trois pays, que dit l’OMS par rapport à ce vaccin ?
En même temps que des dossiers étaient soumis dans des pays africains ou à des pays d’endémie pour l’autorisation de mise sur le marché, l’Institut du sérum d’Inde a soumis un dossier à l’OMS qui est en train de l’examiner. En principe, une réunion de revue du dossier devrait être convoquée sous peu et les participants vont décider s’ils donnent une autorisation à l’utilisation de ce vaccin à l’image du RTS, S. C’est un processus qui est en cours et nous espérons que, avant la fin de 2023, l’OMS recommandera le R21.
Que pouvez-vous nous dire quant au circuit qui sera mis en place pour faciliter sa disponibilité pour les populations mais aussi le processus industriel qui va l’accompagner ?
Le partenaire commercial dans le processus de développement de ce vaccin à qui l’université d’Oxford a cédé la licence de production et de commercialisation est l’Institut du sérum de l’Inde. Comme je le disais, cet institut est le plus grand producteur de vaccin au monde. Cette firme s’est engagée à produire, par an, entre 180 et 200 millions de doses du R21, si ce dernier venait à être homologué.
Nous espérons qu’avec la recommandation de l’OMS, l’initiative Gavi, à l’image de ce qui a été fait avec RTS, S, puisse acheter des doses de vaccin et en offrir aux pays pour que nos populations puissent bénéficier du R21 de façon gratuite. Nous espérons que cela va se faire très prochainement, précisément en 2024.
Comment le R21 va-t-il cohabiter avec le RTS, S, qui a été déclaré « sûr et efficace » par l’OMS et dont 18 millions de doses vont être acheminées vers 12 pays africains, dont le Burkina. N’est-il pas un peu tard pour le R21 ?
Je ne pense pas que R21 arrive un peu tard dans la mesure où vous parlez de 18 millions de doses du RTS, S pour 12 pays. C’est insuffisant. Prenons par exemple le Burkina qui a une population d’environ 20 millions d’habitants et où seulement 1 million de doses du RTS, S est annoncé.
Ceux qui sont majoritairement touchés par le paludisme et pouvant donc être concernés par ce vaccin, ce sont moins de 60 % des enfants de moins de 5 ans. Cela veut dire qu’on a des millions d’enfants au Burkina qui ont besoin du vaccin. Or, avec 1 million de doses du RTSS, c’est seulement environ 250 000 enfants qui seront vaccinés dans la mesure où il faut quatre rappels de ce vaccin pour avoir une bonne efficacité.
C’est dire que R21 va combler la forte demande des pays africains qui montrent de l’intérêt à vacciner leurs populations contre le paludisme. Je dis toujours qu’il vaut mieux disposer de deux, trois ou même quatre vaccins qu’un seul. On a vu d’ailleurs avec le Covid 19 le nombre pléthorique de vaccins utilisés. Pour le paludisme, si on a plus d’un vaccin, cela va permettre de couvrir très rapidement la forte demande africaine.
Y a-t-il encore un chemin à parcourir pour contrer le paludisme maintenant qu’on a deux vaccins au moins sur le marché. Si oui, quel est-il ?
Deux vaccins valent mieux qu’un. Deux vaccins vont permettre d’avoir une meilleure couverture vaccinale, et cela aura l’effet d’accélérer l’agenda d’élimination du palu que nous avons tant prôné depuis des années. L’engagement pour zéro paludisme à l’horizon 2030 était d’ailleurs le slogan de la dernière Journée mondiale de lutte contre le paludisme au Burkina. Plus on vaccinera des enfants, mieux on réduira la transmission et plus on ira vers cet objectif zéro.
Qu’est-ce que le chercheur que vous êtes pourrait préconiser pour un meilleur soutien et un meilleur développement de la recherche sur les maladies tropicales dans nos pays ?
En tant que chercheur, je ne pense pas que je suis le mieux placé pour dire comment il faut soutenir et développer la recherche sur les maladies tropicales. Cela relève d’une décision et d’un engagement politique. Ce que je peux prôner, en termes de plaidoyer, c’est d’appeler les gouvernements d’Afrique à s’approprier et à s’engager davantage dans la lutte contre ce type de maladies.
Avec le Covid-19, on a vu clairement que lorsqu’il s’est agi de protéger les populations en les vaccinant, les pays occidentaux ont privilégié leurs populations avant l’Afrique. Heureusement que le virus n’a pas tué en Afrique au même niveau qu’en Europe sinon ce serait la catastrophe. Parce que les Occidentaux ont pris le soin d’avoir une très bonne couverture vaccinale avant de penser à donner le vaccin aux pays africains. De ce point de vue, je peux dire que le Covid-19 a certes été un scandale sanitaire mais cette pandémie a été l’opportunité pour nous, les Africains, de prendre conscience du fait que nous devons prendre notre destin en main en matière de recherche et de production de médicaments et de vaccins dans nos pays.
C’est pour moi l’occasion d’interpeller nos gouvernements et, surtout, l’Union africaine sur ce défi. J’ai été heureux de savoir que, récemment, le processus qui va rendre opérationnelle l’Agence africaine de médicaments a été activé. Cela va peut-être permettre de plus en plus aux Africains de s’approprier toutes les recherches qui vont se mener sur le continent et prendre les bonnes décisions pour l’amélioration de la santé de nos populations.
Par notre correspondant à Ouagadougou, Bernard Kaboré (Le Point Afrique)

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