avril 29, 2024
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AFRIQUE : La politique française de défense

L’Assemblée nationale française vient de produire un rapport sur la politique française de défense en Afrique. Le document de quatre cents pages environ, est un condensé des propositions des députés des différents groupes parlementaires. Ces derniers ont fait part des multiples défis auxquels la France doit faire face dans le cadre de sa politique de défense en Afrique. Le Groupe Démocrate (MoDem et Indépendants) a déclaré : « Notre groupe considère que la France est prête à relever les défis. Elle doit s’y engager, avec confiance mais sans candeur, aux côtés et à l’écoute des Africains, dans un lien « gagnant-gagnant ». Mais aussi, cela est évident pour le groupe Démocrate, avec ses partenaires européens, dans une Europe puissante, ouverte, volontaire et porteuse de valeurs universelles. » Une déclaration qui semble avoir écho des doléances des Africains surtout la jeunesse qui exige un « équilibrage » des relations entre l’Afrique et la France sur tous les domaines. DakarTimes vous propose quelques extraits du rapport.  

L’AFRIQUE : UN CONTINENT STRATÉGIQUE POUR LA FRANCE ET L’EUROPE

Le monde change sous nos yeux. Les dynamiques démographiques, les changements environnementaux et les conflits régionaux accélèrent les transformations engagées depuis la fin de la Guerre froide et l’internationalisation massive des chaînes de valeur. Derrière « l’affolement du monde » se joue une redistribution profonde des cartes de la puissance. Les Afriques sont aux premières loges de ces mutations. Leurs dynamiques démographiques l’expliquent en grande partie : en 2050, elles compteront 2,5 milliards d’habitants, soit un quart de l’humanité. Le Nigéria sera par exemple à lui seul aussi peuplé que l’Europe ! Cette croissance démographique s’accompagne de mutations politiques, sociales, économiques, technologiques, sécuritaires et migratoires. Continent jeune et de plus en plus connecté, l’Afrique est l’un des moteurs de la croissance économique mondiale, malgré les difficultés de tout ordre qu’elle rencontre et une concurrence stratégique croissante.

Face à ces évolutions, pour maximiser leurs atouts, la plupart des États africains usent d’un multi-bilatéralisme décomplexé. Il n’y a plus de « chassegardée » depuis bien longtemps ; il n’y a plus désormais de partenariats exclusifs. La mondialisation a internationalisé les chaînes de valeur ; elle a aussi multibilatéralisé les partenariats politiques, sécuritaires, économiques et culturels. Les Afriques sont engagées dans une contractualisation généralisée de leurs rapports de puissance, même si les dynamiques régionales ou l’Union africaine permettent encore de multilatéraliser certaines réponses aux enjeux globaux. Cette évolution doit conduire à un double apprentissage : celui, en Europe, d’une relation d’égal à égal avec les pays africains, celui, en Afrique, d’une juste réciprocité dans la mise en œuvre des partenariats.

  • Notre destin est lié à celui du continent africain

Sans tabou, il est important de rappeler aux africains eux-mêmes, que nous avons des intérêts à promouvoir et à défendre dans les relations que nous avons avec les 54 pays du continent :

  • D’abord des intérêts liés à la gestion des grands défis globaux :

changement climatique, préservation de la biodiversité, prévention des épidémies, flux migratoires, etc ;

  • Ensuite des intérêts économiques, qui vont des industries créatives au secteur de l’énergie en passant par la distribution ou les travaux publics, intérêts dont la géographie a profondément évolué et qui se concentrent désormais en Afrique du Nord et en Afrique non-francophone : la France est par exemple le 1er investisseur au Nigéria ;
  • Mais aussi des intérêts d’influence alors que la France n’a pas abandonné son ambition d’être une puissance d’équilibres et de solutions, promouvant un modèle démocratique, culturel et linguistique au service d’un ordre international fondé sur le droit international, le dialogue des cultures et le respect des droits humains fondamentaux ;
  • Enfin des intérêts sécuritaires liés, d’une part, à la présence d’une large communauté française en Afrique et, d’autre part, à notre volonté de participer à la sécurité de l’Europe et à celle de nos partenaires en Afrique en luttant contre les groupes armés terroristes, en entravant les trafics illicites ou en contribuant à la stabilisation régionale, du golfe de Guinée au canal du Mozambique, du soutien aux opérations africaines de paix à la sécurisation de nos voies d’approvisionnement. Nous avons aussi intérêt à ce que se développe une Afrique pacifiée dont le développement économique soit apte à réduire les flux migratoires illégaux qui pèsent aujourd’hui sur l’Europe.

Observons au passage que la géographie de nos intérêts a significativement évolué depuis le début des années 2000 mais qu’un décalage s’est créé progressivement entre nos intérêts et nos priorités politiques. Pour ne prendre qu’un exemple, l’essentiel de nos efforts militaires s’est concentré depuis dix ans dans la bande sahélienne où nous avons peu de résidents et très peu d’intérêts économiques.

Nos destins sont d’autant plus liés que la France est le pays européen qui a la plus grande part d’africanité dans son identité. La France a hérité d’une forte tradition africaine qui est à la fois un atout et un défi. À l’heure où les réseaux sociaux ont tendance à segmenter le monde en sphères cognitives autonomes, les cultures francophones et la francophonie sont devenues une « plateforme de partage » indispensable au dialogue des cultures et aux échanges politiques pour « bâtir des communs ». Mais l’identité africaine de la France, ce sont aussi les 50 % d’immigrés vivant sur son sol qui sont nés en Afrique, soit une diaspora -ou plutôt des diasporas, tant les contours de ces communautés sont complexes à appréhender- estimées à plus de six millions de personnes (Afrique du nord et subsaharienne).

Toutefois, malgré ces liens et nos efforts, nous faisons face à un recul relatif de l’influence de la France dans la partie francophone du continent africain alors que notre présence et nos liens se renforcent avec l’Afrique anglophone et lusophone. En l’absence d’une réaction forte, nous faisons face à un risque de déclassement et à une réduction accrue de notre influence en Afrique francophone. Cette partie du continent reste toutefois étroitement liée à notre pays par l’histoire et par la culture dans une relation complexe de type « je t’aime moi non plus » dont il est parfois difficile de décrypter des signaux souvent contradictoires.

IL FAUT POURSUIVRE LA TRANSFORMATION DU PARTENARIAT AFRIQUE-FRANCE ENTAMÉE DEPUIS 2017

Face à ces mutations, le virage engagé en 2017 est le bon. Il faut l’accentuer encore pour faire évoluer nos postures sécuritaires, pour transformer nos relations politiques avec les pays du continent, et pour renouveler le dialogue entre nos sociétés.

Cette impulsion doit accompagner les actes forts qui ont déjà été posés depuis le discours de Ouagadougou en 2017 : le rapport Sarr-Savoy qui a conduit à la restitution du trésor d’Abomey au Bénin ou du sabre d’Omar Saïdou Tall au Sénégal ; la réforme du « franc CFA » qui n’a toutefois jamais cessé d’être un puissant moyen de stabilité monétaire ; l’apaisement des mémoires avec les courageux rapports Duclert et Stora ; l’affirmation d’une ouverture plus grande vers l’Afrique anglophone et lusophone ; l’initiative Choose Africa qui permet de dépasser un modèle épuisé d’aide au développement ; ou encore le sommet de Montpellier qui ouvre de nouvelles voies à nos relations avec les sociétés civiles africaines.

La France doit rester un pourvoyeur de sécurité fiable et crédible

Les questions militaires n’ont pas échappé aux transformations africaines alors que la France est un acteur engagé de la stabilité du continent. Rappelons que depuis 1963, 255 de nos militaires sont morts pour la France en Afrique, dont 58 au Sahel depuis 2013. Saluons l’action de nos armées et les résultats qu’elles ont obtenus, de la lutte contre la piraterie au large de la Somalie, à celle contre les trafics illicites dans le golfe de Guinée, en passant par les évacuations de ressortissants comme l’opération Sagittaire au Soudan ou le renforcement des capacités militaires de pays africains via une politique active de formation et d’entraînement conjoint. Félicitons aussi nos forces qui, de Serval à Barkhane, ont su contenir une menace djihadiste déstabilisatrice pour l’Afrique comme pour l’Europe : leur retrait contraint du Mali et du Niger s’est fait en bon ordre et en sécurité, manœuvre opérationnelle à haut risque conduite avec un grand professionnalisme.

Il nous faut toutefois regarder en face le fait que nos succès tactiques n’ont pas été transformés, au Sahel, en succès politique et stratégique. Et que l’efficacité de notre présence militaire est aujourd’hui entravée par l’affaiblissement de son acceptabilité sociale par les sociétés africaines, notamment, mais pas seulement, en raison de son instrumentalisation par des puissances étrangères à l’Afrique. C’est pourquoi, j’avais appelé dès 2020 à “rester autrement”.

Désormais dans la contrainte, nous devons faire en sorte que le retrait des forces au Sahel soit une opportunité pour ajuster nos postures alors qu’il n’est pas question de laisser tomber nos partenaires africains : auprès d’eux, la France a vocation à rester un pourvoyeur de sécurité fiable et crédible.

Quatre conditions doivent être remplies pour réussir cet aggiornamento stratégique :

  • D’abord, il convient de redéfinir les conditions d’une solidarité stratégique qui conjure la tentation de faire “à la place de”. La meilleure voie est de puiser ses principes dans l’humilité stratégique des approches dites indirectes tout en renforçant nos mécanismes de réassurance réactive. L’objectif est de revivifier notre offre de coopération, en l’adaptant au plus près des demandes de nos partenaires et en proposant un large panel d’outils dans lequel nos partenaires doivent pouvoir choisir, de la formation spécialisée à l’appui renseignement, en passant par l’apprentissage du Français (langue majeure pour les opérations africaines de paix) pour qu’ils assurent par eux-mêmes leur propre sécurité.
  • Ensuite, il nous faut poursuivre l’adaptation de notre réseau africain de points d’appuis, de bases, d’écoles et d’académies, en répondant toujours mieux aux besoins exprimés localement et en sachant, chaque fois que cela est possible, associer nos partenaires européens voire nos alliés américains, comme nous avons su le faire avec la République de Côte d’Ivoire en créant l’AILCT, y compris par une mobilisation accrue des instruments européens de financement comme la FEP. – Nous devons aussi réinventer une intimité stratégique avec les cadres dirigeants africains du secteur de la défense et de la sécurité. Le doublement prévu de nos capacités d’accueil de stagiaires africains au sein de nos écoles militaires d’ici à 2030 va dans le bon sens mais ne paraît pas suffisant en comparaison de ce que font certains compétiteurs qui en accueillent parfois jusqu’à dix fois plus. Nous devons changer d’échelle en insérant, en retour, des cadres africains dans l’encadrement de formations, comme l’armée de terre a su le faire à Saint-Cyr par exemple. Il nous faut également mieux accueillir les chercheurs et stratèges africains dans nos organismes de recherche et systématiser les « séquences Afrique » dans les colloques comme le Paris Defence & Strategy Forum.
  • Enfin, un effort significatif doit être fait pour mobiliser davantage nos industriels et équipementiers afin de fournir un accompagnement capacitaire au plus près des besoins de nos partenaires. Dans cette logique, il nous faut développer une offre sachant mieux allier maîtrise des coûts, simplicité du MCO et efficacité technologique ainsi qu’une capacité d’acquisition, de stockage et de livraison réactive pour répondre aux besoins d’équipements de nos partenaires dans de brefs délais. La réactivité de notre « industrie de combat » doit être une composante centrale de la profondeur stratégique des partenariats que la France doit pouvoir offrir à ses partenaires africains.

La France doit être économiquement plus allante et politiquement plus humble

Nos difficultés au Sahel, outre un manque d’humilité de notre part, un manque de volontés et de capacités des pays aidés face aux difficultés structurelles, n’ont pas été le résultat d’une approche militarisée à l’excès, mais au contraire l’échec d’une stratégie qui n’a pas su accompagner l’opération militaire par des « lignes d’opérations » autres que sécuritaires.

Notre politique africaine doit remettre en son centre les autres dimensions de notre coopération avec le continent, notamment sa dimension économique.

  • D’abord, en abandonnant toute logique « d’aide au développement », qui est aujourd’hui refusée par les africains eux-mêmes, comme mes collègues Fuchs et Tabarot l’ont rappelé récemment, pour passer à une véritable stratégie de partenariat économique et d’investissement stratégique (j’estime à cet égard que la notion « d’investissement solidaire et durable » n’est pas la plus appropriée).

Nous pouvons compter pour cela sur de nombreux atouts. En effet, nos positions commerciales restent fortes : la balance commerciale de la France avec l’Afrique est excédentaire, contrairement à de nombreuses autres zones dans le reste du monde. Le nombre de filiales françaises en Afrique augmente : il a doublé au cours des dix dernières années. Les entreprises françaises sont impliquées dans des contrats majeurs (TER de Dakar, Métro d’Abidjan etc.) et sont présentes dans de nombreux secteurs (agriculture, BTP, santé, énergie etc.). La France s’illustre par ailleurs en ce qu’elle favorise l’emploi local, ce qui n’est pas le cas d’autres pays qui viennent avec leur main d’œuvre (plus de 500 000 emplois directs sont générés par les entreprises françaises sur le continent) ; elle contribue à la montée en puissance des entreprises africaines ainsi qu’à l’amélioration des standards environnementaux et sociaux. Le dynamisme français est réel en Afrique anglophone et lusophone ; il convient de continuer à promouvoir et soutenir le tissu des PME-PMI françaises sur les marchés africains situés hors Afrique francophone qui restent encore trop peu explorés par nos entreprises qui, lorsqu’elles s’aventurent sur le continent africain, se limitent trop souvent aux marchés francophones.

  • Nous devons aussi tirer toutes les conséquences politiques des mutations africaines qui conduisent à ce que nous soyons un « partenaire parmi d’autres ». Après l’humilité stratégique, il nous faut faire preuve « d’humilité politique ». Si nous voulons écarter durablement les accusations de pratiquer un « double standard » et démontrer que le « sud global » n’est que l’habillage rhétorique d’un « sud plus éclaté » que ce qu’en disent les propagandistes des puissances autoritaires révisionnistes, il nous faut apprendre à mieux peser les limites des « conditionnalités » que nous exigeons de nos partenaires pour éviter qu’elles ne soient perçues comme d’inacceptables ingérences. La question de la

« conditionnalité démocratique » est la plus complexe alors que les promesses de la Conférence de la Baule ont globalement échoué à faire percer une « démocratie substantive ». Nous devons avoir le courage d’accompagner des démocraties imparfaites sans pour autant renier nos valeurs et nos principes, en adoptant le principe de la “juste distance” développé par Achille Mbembe. C’est en ce sens qu’il convient de continuer à soutenir les initiatives de la Fondation de l’innovation pour la démocratie, organisation africaine créée en 2022 à l’initiative de Achille Mbembe dont l’objectif est de réinventer, à partir de savoirs endogènes, la démocratie en Afrique et les liens du continent avec le reste du monde.

La France doit affermir sa stratégie d’influence et sa communication stratégique

Enfin, un effort significatif devra être fait pour renforcer notre stratégie d’influence sur le continent africain. La France doit démontrer que l’érection de l’influence en fonction stratégique se traduit concrètement, et notamment sur le continent africain qui est particulièrement sujet aux campagnes de désinformation menées par nos compétiteurs.

La dégradation de l’image de la France en Afrique, qui n’intervient pas partout et n’est pas homogène selon les zones, ne s’explique toutefois pas seulement par l’activisme de nos compétiteurs et ne se limite pas à un enjeu de communication. Celle-ci s’inscrit dans un mouvement plus profond de questionnement par les populations du rôle des acteurs extérieurs. Il est nécessaire de prendre acte du caractère central de l’affrontement dans le champ informationnel, en définissant une stratégie crédible dans un contexte asymétrique face à des compétiteurs recourant sans limite à la désinformation et à la manipulation, en portant à la hauteur des enjeux les moyens consacrés à ce sujet.

Ce réinvestissement passe notamment par une nouvelle politique d’expansion dans les domaines culturel et informationnel : activité des centres culturels, stratégie de développement du français sur l’ensemble du continent, animation des relais d’opinion, mise en place d’une filière spécifique de formation pour des diplomates et fonctionnaires spécialisés sur l’Afrique etc. Le Quai d’Orsay gagnerait aussi à améliorer l’articulation de ses approches continentale, régionales et sous-régionales pour mieux combiner ses effets : si le ministère des armées doit faire le retour d’expérience de son retrait du Sahel, le ministère des affaires étrangères doit lui aussi analyser les raisons pour lesquelles il n’est pas parvenu à déployer ses actions pour accompagner avec succès l’effort sécuritaire que la France consentait.

L’affermissement de notre stratégie d’influence passera aussi par le réinvestissement des « études africaines » par nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche, alors que beaucoup d’experts ont alerté sur la fragilisation de ce qui fut longtemps une terre d’excellence de la recherche française.

Cela passera enfin par une meilleure sensibilisation des équipes de France Médias Monde aux enjeux de la guerre informationnelle, plusieurs exemples ayant malheureusement montré qu’une légèreté coupable pouvait parfois présider à certains choix éditoriaux conduisant, de facto, à relayer la propagande « d’ingénieurs de chaos » identifiés.

Le départ des troupes françaises du Niger a accéléré la transformation de la présence militaire française en Afrique engagée à la fin de l’opération Barkhane

Ce cycle d’audition s’inscrit dans une transformation profonde du dispositif sécuritaire français déployé en Afrique. Entamé par la fin de l’opération Barkhane annoncée en novembre 2022, cette transformation s’est accélérée suite au coup d’État au Niger, et est confirmée par la réduction des effectifs militaires en Afrique de l’Ouest.

  1. La fin de l’opération Barkhane et l’amorce d’une transformation du dispositif militaire français en Afrique

Le Président de la République annonçait, le 9 novembre 2022, la fin de l’opération Barkhane, opération militaire chargée de lutter contre les groupes armés djihadistes dans toute la région du Sahel. Cette décision ne remet en cause ni la légitimité ni l’efficacité des opérations françaises au Sahel. Nos soldats ont lutté contre la menace djihadiste à la demande des États africains. Aux côtés des militaires des armées africaines et au péril de leur vie, nos soldats y ont remporté des victoires contre des groupes armés djihadistes. Le groupe Horizons et apparentés renouvelle ici son hommage à ces soldats, aux blessés et à ceux qui ont perdu la vie au Sahel, ainsi qu’à leurs familles. L’action de nos forces armées dans son ensemble mérite d’être saluée, ayant mis fin aux attentats de grande ampleur et permis une baisse structurelle des capacités opérationnelles et médiatiques de ces groupes djihadistes.

Mais Barkhane s’est heurtée entre autres aux dynamique politiques internes des partenaires de la France au Sahel, en proies à plusieurs coup d’États. C’est pour cela qu’en sus de la fin de l’opération Barkhane, le Président de la République a amorcé une transformation du dispositif sécuritaire et de nos bases militaires sur le continent, lors de son discours sur le Partenariat Afrique-France du 27 février 2023 : « Au fond, la logique, c’est que notre modèle ne doit plus être celui de bases militaires telles qu’elles existent aujourd’hui. Demain, notre présence s’inscrira au sein de bases, d’écoles, d’académies qui seront cogérées, fonctionnant avec des effectifs français qui demeureront, mais à des niveaux moindres et des effectifs africains qui pourront aussi accueillir, si nos partenaires africains le souhaitent et à leurs conditions, d’autres partenaires. » Cette transformation devrait s’accélérer au lendemain du coup d’État au Niger de juillet 2023, qui a provoqué le départ des troupes françaises du pays.

Vers une présence militaire de moindre ampleur centrée sur des partenariats militaires opérationnels

Au plan militaire, la présence de bases permanentes facilite la réaction aux crises sécuritaires sur court préavis, capacité qu’il semble pertinent de conserver. Cependant, ces missions ne justifient pas à elles-seules l’ampleur de la présence française sur place. Une stratégie d’ensemble pour l’évolution de la présence militaire sur le continent pourrait être de recentrer la mission des points d’appui permanent sur la réaction aux crises sécuritaires. Cela permettrait d’en diminuer les effectifs permanents, les rendant plus « discrets ». En parallèle, les ressources ainsi dégagées pourraient être partiellement réemployées pour des missions ponctuelles de partenariats militaires opérationnels dans les bases des pays hôtes, en diversifiant les partenaires.

La situation sécuritaire du continent reste inquiétante et nécessite une réponse adaptée aux nouveaux enjeux

La vision stratégique de la France vis-à-vis de l’Afrique doit pouvoir aussi s’émanciper de l’aspect purement sécuritaire pour aborder les enjeux du continent de manière plus globale. Un premier aspect est de rester lucide sur les réalités sécuritaires de fonds, la compétition entre puissances, l’instabilité politique et la montée de l’extrémisme religieux. 

Des rivalités stratégiques entre puissances

Le continent africain est extrêmement dynamique, du fait de sa croissance économique et démographique importante et de son intégration toujours plus forte dans l’économie mondiale. Par conséquent, et à mesure que les échanges entre le continent africain et les principales puissances mondiales se renforcent, l’accès aux marchés et aux partenariats sur le continent devient de plus en plus concurrentiel. C’est notamment le cas pour la Russie qui, via des groupes mercenaires comme Wagner, assure la sécurité de certains autocrates africains tout en cultivant un sentiment anti-français par le biais de fake-news et d’attaques hybrides. D’autres puissances visent avant tout à proposer un modèle alternatif aux financements occidentaux, souvent exigeants sur la lutte contre la corruption et la libéralisation des marchés. La Chine investit massivement sur le continent, par des prêts intégrés dans sa stratégie de Nouvelles Routes de la Soie, pour financer des projets d’infrastructure. Les États-Unis réinvestissent aussi dans la région. Nos concurrents proposent des formats de collaboration plus souples, souvent commodes aux autocrates africains qui se voient confortés dans leur pouvoir sans pour autant régler les risques sécuritaires sur l’ensemble de leur territoire.

Le piège des coups d’État et la démocratie en danger

Notre stratégie doit aussi s’adapter à une instabilité politique croissante qui touche en particulier la zone Sahel. Plusieurs coups d’États successifs depuis 2020 ont remis en cause les engagements français au Sahel : au Mali (2020 et 2021), en Guinée (2021) au Soudan (2021), au Burkina Faso (deux fois en 2022) et au Niger (2023). Le coup d’État au Niger a accéléré le retrait des troupes françaises du Sahel. Les coups d’États sont souvent de bons prédicteurs de coup d’États futurs (phénomène de piège du coup d’État), l’instabilité politique issue d’une prise de pouvoir par une faction donnant lieu à d’autres tentatives successives. L’équilibre démocratique dans la zone Sahel et ouest-africaine est donc clairement menacé. À la compétition croissante entre puissances et l’instabilité politique s’ajoute la montée en puissance des groupes armés djihadistes dans la zone Sahel. Ces derniers profitent de l’instabilité politique pour renforcer leurs actions dans les territoires abandonnés par les puissances publiques. Les principaux groupes armés (Al Quaïda au Maghreb islamique, Boko-Haram, État islamique) multiplient leurs attaques terroristes.

 Au-delà du Sahel, des coopérations à renforcer sur l’ensemble de continent

Un deuxième aspect de cette vision stratégique doit être la prise en compte de ces réalités globales pour adapter nos partenariats, au-delà de l’enjeu purement sécuritaire, au-delà aussi de la zone Sahel, qui concentre actuellement l’essentiel de l’effort militaire français, et porter le regard vers l’ensemble du continent.

Le continent africain souffre de nombreuses caricatures, que ce cycle d’audition a permis de dépasser. La première d’entre elles est de le considérer sous le seul prisme sécuritaire. Les coups d’État qui ont gangrené le Sahel ces dernières années ne doivent pas nous aveugler quant à la richesse et à la diversité de ce continent. S’affranchir des caricatures, c’est aussi garder en tête la diversité des pays africains. La France entretient des liens avec chacun des cinquante-quatre pays du continent dans le cadre de relations bilatérales. Les domaines dans lesquels la coopération entre la France et les pays africains peut être renforcée sont nombreux. Le groupe Horizons et apparentés estime que nous pouvons développer une stratégie, dans nos relations avec le continent, reposant sur trois piliers : la lutte contre le changement climatique, la jeunesse et la démocratie. Pour lutter contre le changement climatique, d’abord, le continent africain peut devenir un acteur majeur de la réduction des émissions de carbone. Il n’est finalement responsable que de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les États africains pourraient se développer rapidement sans répéter les erreurs d’un siècle de développement occidental fondé sur les énergies fossiles. Du fait de son dynamisme démographique, le continent africain est le plus jeune du monde ; par conséquent, l’accompagnement de la jeunesse y est un enjeu majeur. Enfin, face à la recrudescence des coups d’État depuis 2020, la France doit soutenir le plus possible l’intérêt pour la démocratie. Plutôt que d’imposer et de proclamer ses valeurs, elle a la possibilité de soutenir des réseaux d’intellectuels et d’acteurs civils pour qu’ils fassent vivre la démocratie au niveau local.

Enfin, ces défis communs ne se limitent pas aux relations francoafricaines : ils concernent l’ensemble des pays européens. Que ce soit par des accords politiques ou par une révision de la logique d’aide au développement, nous devons, plutôt que d’agir seuls, nous appuyer les uns sur les autres afin de renouveler nos partenariats.

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