avril 29, 2024
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Politique

LE BILAN DE L’OCCIDENT ?

Les dirigeants occidentaux vivent deux événements stupéfiants : la défaite en Ukraine et le génocide en Palestine. Le premier est humiliant, l’autre honteux. Pourtant, ils ne ressentent ni humiliation ni honte. Leurs actions montrent clairement que ces sentiments leur sont étrangers et qu’ils sont incapables de franchir les barrières bien ancrées du dogme, de l’arrogance et des insécurités profondément ancrées. Ces dernières sont à la fois personnelles et politiques. C’est là que réside l’énigme. En effet, l’Occident s’est engagé sur la voie du suicide collectif. Suicide moral à Gaza. Suicide diplomatique : destructions des fondations posées en Europe, au Moyen-Orient et dans toute l’Eurasie. Suicide économique : le système financier mondial basé sur le dollar est en péril, l’Europe se désindustrialise. Le tableau n’est pas beau à voir. Il est étonnant de constater que cette autodestruction se produit en l’absence de tout traumatisme majeur, externe ou interne. C’est là que réside une autre énigme connexe.

Certains indices de ces anomalies sont fournis par les réponses les plus récentes de ces dirigeants lorsque la détérioration des conditions resserre l’étau autour des émotions, des politiques en vigueur, des inquiétudes politiques intérieures et des egos. Ces réactions entrent dans la catégorie des comportements de panique. Au fond, ils sont effrayés, craintifs et agités. Biden et consorts à Washington, Macron, Schulz, Sunak, Stoltenberg, von der Leyen en Europe. Ils n’ont pas le courage de leurs convictions déclarées ni celui de regarder la réalité en face. La vérité brutale est qu’ils se sont ingéniés à se placer eux-mêmes – et leurs pays – dans un dilemme dont ils ne peuvent sortir qu’en se conformant aux intérêts qu’ils ont eux-mêmes définis et à leur engagement émotionnel.  C’est pourquoi nous observons toute une série de réactions qui sont inutiles, grotesques et dangereuses.

 

DES IDÉES DOUTEUSES

 

La première pièce à conviction est le plan proposé par le président français Emmanuel Macron, qui consiste à envoyer du personnel militaire des États membres de l’OTAN en Ukraine pour servir de cordon de sécurité. Disposés autour de Kharkov, Odessa et Kiev, ils seraient censés dissuader les forces russes d’avancer vers ces villes de peur de tuer des soldats occidentaux, risquant ainsi une confrontation directe avec l’Alliance. Il s’agit d’une idée très douteuse qui défie la logique et l’expérience tout en tentant le destin. La France a longtemps déployé des membres de ses forces armées en Ukraine, où ils ont programmé et utilisé des équipements sophistiqués, en particulier des missiles de croisière SCALP. Il y a quelques mois, des dizaines de personnes ont été tuées par une frappe de représailles russe qui a détruit leur résidence. Paris a crié au « meurtre sacré » pour le comportement antisportif de Moscou qui a riposté à ceux qui l’attaquaient. Il s’agissait de représailles pour la participation française au bombardement meurtrier de la ville russe de Belgorod. Pourquoi alors devrions-nous nous attendre à ce que le Kremlin abandonne une campagne coûteuse mettant en jeu ce qu’il considère comme ses intérêts nationaux vitaux si des troupes occidentales en uniforme étaient déployées en piquet de grève autour des villes ? Seraient-ils intimidés dans leur passivité par des uniformes élégants rassemblés sous de grandes bannières portant le slogan : « DON’T MESS WITH NATO » (Ne vous mêlez pas de l’OTAN) ?

En outre, des milliers d’Occidentaux soutiennent déjà les forces armées ukrainiennes. Environ 4 à 5 000 Américains remplissent des fonctions opérationnelles essentielles depuis le début. La présence en Ukraine de la majorité d’entre eux précède de plusieurs années le début des hostilités, il y a deux ans. Ce contingent a été renforcé par un groupe supplémentaire de 1 700 personnes l’été dernier. Il s’agit d’un corps d’experts en logistique dont le mandat a été de rechercher et d’éradiquer la corruption de lutter contre le marché noir et le trafic des fournitures volées. Le personnel du Pentagone est présent dans l’armée ukrainienne depuis les unités de planification d’état-major jusqu’aux conseillers sur le terrain, en passant par les techniciens et les forces spéciales. Il est communément admis que les Américains ont mis en œuvre l’artillerie sophistiquée à longue portée Himars et les batteries de défense antiaérienne Patriot. Cela signifie que des membres de l’armée américaine ont mis en oeuvre – voire peut-être appuyé sur la gâchette – des armes qui tuent des Russes. En outre, la CIA a mis en place un système massif et polyvalent capable de mener un large éventail d’activités de renseignement et d’opérations, de manière indépendante ou en collaboration avec le FSB ukrainien. Cela inclut le renseignement tactique au jour le jour et nous ne savons pas s’ils ont joué un rôle dans la campagne d’assassinats ciblés à l’intérieur de la Russie.

La Grande-Bretagne a également joué un rôle essentiel. Son personnel spécialisé a utilisé les missiles Storm Shadow(équivalent du SCALP français) employés contre la Crimée et ailleurs. De même, le MI 6 a joué un rôle de premier plan dans la conception des multiples attaques contre le pont de Kertch et d’autres infrastructures critiques.

Le principal enseignement que l’on peut tirer de ce tour d’horizon est que le positionnement de troupes européennes sur des sites clés en tant qu’otages humains n’est pas tout à fait original. Leur présence n’a pas dissuadé la Russie de les attaquer sur le terrain ou, comme dans le cas français, de les traquer dans leurs résidences.

 

DES COMPORTEMENTS MÉPRISANTS

 

La deuxième pièce à conviction est le largage par les Américains d’un chargement dérisoire d’aide humanitaire dans la mer au large de Gaza. Cette action bizarre relève à la fois de l’absurde et du grotesque. Les États-Unis ont été les principaux complices des ravages israéliens à Gaza. Leurs armes ont tué 30 000 Gazaouis, en ont blessé plus de 70 000 et ont dévasté des hôpitaux. Washington a activement bloqué toute tentative sérieuse d’aide par l’UNWRA en retenant les fonds nécessaires pour financer ses opérations, tout en restant silencieux alors qu’Israël bloque les points d’entrée depuis l’Égypte et massacre les habitants qui attendent l’arrivée d’un convoi de nourriture. En outre, Israël a opposé son veto à toutes les tentatives visant à mettre fin au carnage par le biais de résolutions de cessez-le-feu du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce geste absurde consistant à faire sortir des palettes par le hublot d’un avion ne fait que souligner le mépris des Américains pour la vie des Palestiniens, leur mépris de l’opinion mondiale et leur soumission éhontée aux diktats d’Israël.

La troisième preuve est fournie par Rishi (« Sage ») Sunak, Premier ministre par intérim du Royaume-Uni. Ardent défenseur d’Israël, il n’a cessé de critiquer les manifestations de protestation contre l’agression des habitants de Gaza, qu’il considère comme des obstacles à un cessez-le-feu à long terme et à un règlement politique. En cela, il perpétue la longue tradition de loyauté britannique à l’égard de son suzerain américain. La semaine dernière, Sunak a intensifié ses attaques en dénonçant ces manifestations comme des outils du Hamas lequel est aux mains des terroristes qui menacent de déchirer le pays. Il les a comparés à la « loi de la populace », comme l’a montré la victoire électorale du franc-tireur George Galloway, qui a écrasé les Conservateurs (et les Travaillistes) lors d’une élection partielle. Rien ne prouve, bien sûr, qu’un demi-million de citoyens pacifiques sont le cheval de Troie des djihadistes musulmans. Cette réaction est assez typique –pour ceux qui la connaissent – des manières hautaines cultivées par la haute société anglaise, lesquelles infectent même un nouveau venu dont les origines remontent au Raj indien au sein de ces cercles exaltés : condescendance à l’égard des rangs inférieurs, définition de ce que doivent être les limites d’un comportement acceptable, etc. Cette attitude s’accompagne souvent d’un dénigrement des groupes ou des nationalités qui ne se conforment pas aux règles. Le fait que Sunak lui-même n’hésite pas à lancer des accusations sournoises – quoi qu’implicites – à l’encontre des musulmans démontre la pérennité des préjugés culturels ainsi que l’ouverture historique de la classe supérieure anglaise à l’égard de ceux qui ont de l’argent ou du cachet. Je suppose qu’il s’agit là d’un progrès social.

L’élément dangereux de la démagogie inconvenante de Sunak n’est pas son effet aggravant sur la culpabilité de l’Occident en Palestine. Les protagonistes régionaux, ainsi que le reste du monde, sourient aux grandes envolées rhétoriques de la Grande-Bretagne, sachant qu’elle ne compte que comme le Tonto de l’Amérique. Au contraire, elle ouvre une brèche dans l’attachement du pays à la liberté d’expression et de réunion. En effet, elle revient presque à dire que tout désaccord public avec la politique du gouvernement de Sa Majesté équivaut à une trahison.

 

UNE ATTITUDE GROTESQUE

 

En ce qui concerne le nettoyage ethnique violent des Palestiniens, il est juste de dire que la complicité des gouvernements occidentaux, par le biais de l’armement et du soutien inconditionnel aux actions horribles d’Israël, constitue un comportement grotesque. Il est superflu de pointer du doigt des individus dans les différents gouvernements. C’est l’épisode tout entier qui est grotesque. C’est ainsi qu’il est perçu par la quasi-totalité du monde, en dehors des pays de l’Occident collectif, ce qui représente environ les deux tiers de l’humanité. Pourtant, les « élites » politiques dos nations occidentales semblent inconscientes et/ou dédaigneuses de ce jugement. Il leur importe peu d’être considérés par les « autres » comme inhumains, hypocrites et racistes. De telles attitudes sont très négativement perçues dans le reste du monde, souvent renforcées par des souvenirs traumatisants concernant la façon dont les autres nations ont été elles-mêmes subjuguées, piétinées et exploitées au cours des siècles par des Occidentaux qui les ont vertueusement instruits de la supériorité de leurs valeurs – tout comme ils le font encore aujourd’hui.

Certaines actions occidentales représentent manifestement un danger clair et futur d’expansion de la guerre en Europe. Jens Stoltenberg, le belliqueux secrétaire général de l’OTAN, a audacieusement déclaré la semaine dernière que les alliés occidentaux devraient donner le feu vert à l’Ukraine pour qu’elle utilise les missiles de croisière qu’elle a acquis pour attaquer des cibles en Russie même. Ces armes comprennent le Storm Shadow, le SCALP, les Taurus à longue portée que l’Allemagne pourrait bientôt envoyer et du matériel similaire qui sera fourni par les États-Unis (peut-être lancé à partir des F-16 qui arrivent déjà). D’autres dirigeants occidentaux ont fait allusion à une action plus radicale encore et les factions les plus dures de Washington y sont favorables. Poutine a prévenu qu’une telle escalade de la part de l’Occident – comme le déploiement hypothétique de troupes de l’OTAN en Ukraine – provoquerait une réponse militaire de la part de Moscou. Les risques de voir les hostilités qui s’ensuivraient échapper à tout contrôle et atteindre le seuil nucléaire sont importants.

Prises dans leur ensemble, les actions des dirigeants occidentaux – soutenues par les élites politiques de leurs pays – sont révélatrices d’un modèle de comportement qui s’est écarté de la réalité. Elles découlent de dogmes non étayés par des faits objectifs. Elles sont logiquement auto-contradictoires, imperméables aux événements qui modifient le paysage et radicalement déséquilibrées dans l’évaluation des avantages/coûts/risques et des probabilités de succès. Comment expliquer cette irrationalité ? Il existe des conditions générales qui permettent ou encouragent cette fuite en avant du raisonnement. Il s’agit notamment des tendances socioculturelles nihilistes de nos sociétés postmodernes contemporaines, de leur susceptibilité à l’hystérie collective et aux réactions émotionnelles excessives face à des événements troublants : le 11 septembre 2001, le terrorisme islamique, la fable de l’ingérence russe dans les élections américaines de 2016, la menace chinoise, la perspective effrayante d’une guerre inévitable avec la RPC, les affirmations farfelues selon lesquelles Poutine prévoit de lancer une guerre totale pour conquérir l’Europe jusqu’à la Manche, etc. Les deux dernières sont alimentées par les angoisses flottantes, c’est-à-dire la peur, engendrées par les épisodes antérieurs de psychopathologie de masse. Ces allégations, qui sont en fait de pures fictions, ont fait leur chemin parmi les hauts responsables militaires, les chefs de gouvernement et les « penseurs » stratégiques.

Revenons aux ingrédients de la panique. Nous avons noté la peur – à la fois de l’identifiable et de l’inconnu – et les sentiments subconscients d’insécurité. Ces sentiments découlent d’une matrice de changements de l’environnement mondial très désorientant pour les sociétés occidentales. Ils ont lieu simultanément à des développements intérieurs déstabilisants. Le résultat est double : ils étouffent tout débat raisonnable concernant des politiques douteuses – ayant des prémisses et des objectifs non vérifiés – et ils offrent des opportunités pour des indivius ou des groupes déterminés qui nourrissent des objectifs de remodelage de l’espace géopolitique mondial selon les spécifications hégémoniques américaines. À cette fin, nos dirigeants manipulent et exploitent cette désorientation émotionnelle et ce conformisme politique. L’exemple le plus frappant est celui des soi-disant « néo-cons » de Washington (qui comptent Joe Biden parmi leurs compagnons d’armes), qui ont mis en place un réseau de fidèles aux vues similaires à Londres, Paris, Berlin et Bruxelles.

Qu’en est-il de l’énigme que nous avons relevée quant à l’absence quasi-totale de sentiments de culpabilité ou de honte –en particulier à propos de Gaza – d’être humilié aux yeux du monde ? Dans des conditions de nihilisme, les questions de conscience sont discutables. En effet, le rejet implicite des normes, des règles et des lois libère l’individu de ses impulsions, de ses idées ou de ses intérêts égoïstes. Le surmoi étant dissous, l’individu ne se sent pas obligé de se juger par rapport à une norme extérieure ou abstraite. Les tendances narcissiques s’épanouissent. Une psychologie similaire supprime l’obligation d’éprouver de la honte. Celle-ci ne peut exister que si nous faisons subjectivement partie d’un groupe social dans lequel le statut personnel et le sentiment de valeur dépendent de la façon dont les autres nous perçoivent et nous respectent, ou pas. En l’absence d’une telle identité communautaire, avec la sensibilité à l’opinion qu’elle implique, la honte ne peut exister que sous la forme perverse du regret de n’avoir pu satisfaire le besoin exigeant et dévorant d’autosatisfaction. Cela s’applique aussi bien aux nations qu’à leurs dirigeants individuels.

(Traduction CF2R)

MICHAEL BRENNER

Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au ForeignService Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

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