mai 15, 2024
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Sécurité

BARKHANE/AFRIQUE DE L’OUEST :Quelle nouvelle posture stratégique française

Près d’une décennie après sa guerre victorieuse contre le terrorisme au Mali, la France est aujourd’hui en passe de tourner une page de son histoire militaire en Afrique. La fin prochaine, et pourtant programmée depuis le printemps 2021, de l’opération Barkhane, survient cependant dans un contexte stratégique particulièrement dégradé. C’est du moins le constat fait par Laurent Bansept, colonel de l’armée de Terre, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Institut français de relations internationales (Ifri), membre du Laboratoire de Recherche sur la Défense (LRD) Élie Tenenbaum, Directeur du Centre des études de sécurité de l’Ifri.

Alors que la constitution d’un solide partenariat de combat avec les armées locales constituait le cœur de la stratégie française, le drapeau tricolore quitte le Mali dans un contexte de rupture diplomatique et de progrès sans équivoque de l’influence russe dans le pays. Selon Laurent Bansept et Élie Tenenbaum. Dans leur étude intitulée «Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », les deux chercheurs estiment qu’au même moment, l’éclatement de la guerre en Ukraine transforme le paysage géopolitique européen, interroge nécessairement sur la posture expéditionnaire de la France et ses efforts pour européaniser la lutte contre le terrorisme au Sahel. Cette menace djihadiste enfin, ne cesse de progresser, se frayant progressivement un chemin vers les pays du golfe de Guinée où se situe le cœur des intérêts politiques, économiques et sécuritaires français dans la région. Ce constat fait par les chercheurs impose l’urgence d’une réaction et d’une adaptation de la posture stratégique française dans toute la région. Elle doit viser tout d’abord la redéfinition de ses ambitions et de ses objectifs, avec une appréciation lucide des moyens qui peuvent y être consacrés. Enfin, elle doit conduire à une adaptation globale et cohérente de son dispositif.

Une réduction continue des moyens

En même temps que la ligne politique et l’offre stratégique de la France en Afrique se font plus hésitantes, ses moyens civils et militaires connaissent une réduction continue. La fin de la guerre froide et la grande réforme des armées françaises entre 1996 et 2015 se traduisent en effet par une série de déflations dont les forces de présence à l’étranger souffrent plus encore que d’autres19. Dès 1996, les 1 500 hommes des Éléments français d’assistance opérationnels (EFAO), installés à Bangui et à Bouar en Centrafrique sont retirés20. Les autres garnisons de Dakar, Abidjan, Libreville et Djibouti sont également réduites, de sorte que l’ensemble du dispositif (hors Tchad) passe de 8 000 hommes en 1995 à tout juste 5 000 en 2001. Le mandat de Nicolas Sarkozy, avec la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et la renégociation à la baisse des accords de défense, va encore accélérer cette déflation.

C’est d’autant plus le cas que, prenant acte de la moindre dépendance au pétrole de la France et d’une véritable politique de diversification des approvisionnements stratégiques, le Livre blanc de 2008 affiche la volonté de réduire la place de l’Afrique dans les déploiements à l’étranger : l’ouverture d’une base permanente à Abou Dhabi en 2009 est le symbole de cette « désafricanisation » progressive du dispositif pré-positionné. C’est dans cette logique qu’est actée à l’été 2011 la dissolution des Forces françaises du Cap Vert, ancrage historique de près de 1 200 hommes. Les Éléments français du Sénégal (EFS), qui leur succèdent, sont limités à 350 militaires qui forment un Pôle opérationnel de coopération (POC) ayant vocation à travailler aux côtés des armées des 15 pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La réforme initiale de 2008 prévoyait de transformer l’emprise de Djibouti en une base similaire pour la façade orientale de l’Afrique, tandis que les forces en Côte d’Ivoire et au Gabon devaient tout simplement disparaître. Une telle réduction du dispositif aurait ramené la présence militaire française en Afrique à moins d’un millier d’hommes.

Un processus politique enrayé

Les premières années post-Serval avaient pourtant été marquées par une dynamique positive avec l’arrivée en 2014 d’un nouveau pouvoir malien issu d’élections libres et la signature en 2015 d’un Accord de paix et de réconciliation (APR) – dits Accords d’Alger – avec les groupes armés au Nord. La mise en œuvre de l’APR, aujourd’hui au point mort, s’est toutefois vite heurtée au flou du texte et à la mauvaise volonté des parties dans la mise en œuvre. Au Nord, les groupes armés disposent de fait du pouvoir sans avoir à en assumer la responsabilité. Au Sud, le pouvoir dit central fait mine de s’irriter que la France l’empêche de reconquérir son intégrité territoriale – pointant notamment la demande faite aux Forces armées maliennes (FAMa) en 2013 de ne pas entrer dans Kidal, retombée aux mains des indépendantistes touareg. La réalité est que Bamako n’a pas les moyens de s’imposer à Kidal : l’infructueuse tentative du Premier ministre Moussa Mara l’a démontré en 2014 et le « retour » du bataillon des FAMa en 2020 n’a trompé personne34. Sa volonté réelle peut d’ailleurs être mise en doute tant les arrangements électoralistes – et les marchandages sur fond de trafics – avec les groupes signataires servent les intérêts du pouvoir central en offrant la fiction d’un contrôle administratif qui n’a en réalité jamais existé. Comme dans d’autres crises africaines des années post-guerre froide, la France est donc intervenue directement dans les affaires intérieures maliennes tout en refusant de choisir un camp et a dès lors multiplié les frustrations. Ainsi, Paris donnait initialement l’impression à l’État malien qu’il soutenait certaines revendications des mouvements indépendantistes ou autonomistes de « l’Azawad » au motif qu’ils auraient représenté une opposition, au moins de façade, aux djihadistes. Après la signature de l’APR, la France fait le pari des mouvements dits de « la Plateforme », un entre-deux composé de groupes armés du Nord plus conciliants avec Bamako. Mais leurs méthodes dans la région de Ménaka ont conduit à la fin de la coopération après 2017.

Finalement, Paris finira par se résoudre à jouer à fond la carte du « retour de l’État », mais sans doute trop tard pour exploiter une telle volonté éteinte depuis plusieurs années. À chaque stade, le style des opérations françaises aura lui-même évolué. L’armée française est en effet confrontée au défi insoluble de s’approprier les dynamiques politico-sociales locales pour pouvoir trouver et neutraliser des djihadistes qui se sont fondus dans le paysage politique, ce préalable étant jugé indispensable au transfert de la mission contre-insurrectionnelle aux FAMa. Avant l’APR, elles maintiennent les FAMa à l’écart et tentent d’isoler les éléments radicaux des groupes touaregs. Après l’APR, les FAMa sont progressivement associées aux opérations, de façon très limitée, tandis que certaines d’entre elles sont coordonnées avec des milices communautaires. Les dernières années voient un engagement beaucoup plus résolu avec les FAMa dans le cadre de grandes opérations où elles apparaissent enfin massivement présentes. Chacune de ces stratégies aurait pu fonctionner mais appliquées successivement ou même simultanément, sans véritablement mise à plat des divergences de point de vue au sein de l’administration elles étaient irrémédiablement vouées à l’échec. Dès lors, la France n’est plus perçue comme partenaire fiable ou durable. Ces errements, qui soulignent toujours plus négativement son engagement, renforcent la crispation des relations avec le pouvoir en place à Bamako.

Lutte contre le terrorisme, conditionnalité et compétitivité

Plus encore que le fatras institutionnel, c’est la faiblesse de l’articulation politico-militaire de la stratégie française en Afrique subsaharienne qui s’illustre au Mali. Les intérêts de la France y sont souvent réduits à la seule lutte contre les groupes djihadistes, tout en rejetant les options de négociation et en négligeant les données de la compétition stratégique. Or, pour les partenaires locaux, les conditions politiques posées par la France à la lutte contre le terrorisme – et notamment les réformes du fonctionnement de l’État et de la gouvernance – semblent parfois plus menaçantes que l’emprise des groupes djihadistes. La France prône donc en vain des réformes de gouvernance pour rendre plus efficace le contre-terrorisme alors que la lutte contre le terrorisme est bien souvent conçue, pour ces régimes, comme l’outil permettant de pérenniser leurs systèmes – comme ce fut le cas de la lutte contre le communisme durant la guerre froide. Dans le cas malien, ce décalage a nourri une frustration réciproque qui a d’abord conduit à une méfiance puis à un rejet de la présence française. Cette dégradation diplomatique progressive a commencé dès le mandat d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), d’abord fortement soutenu par François Hollande en 2013. Les ardeurs se sont cependant peu à peu refroidies au fur et à mesure que l’incurie politique de son gouvernement est apparue au grand jour et que des tensions bilatérales émergeaient quant à l’emploi de la force militaire (frappe sur Abeïbara par exemple) ou déjà, sur l’ouverture d’éventuelles négociations avec des acteurs considérés à Paris comme irrémédiablement liés aux groupes terroristes. La relation avec les partenaires locaux a par ailleurs été progressivement empoisonnée par le succès grandissant de théories conspirationnistes considérant que la France ne souhaitait pas réellement la victoire contre le terrorisme. Ces thèses répandues sur les réseaux sociaux furent parfois encouragées par une classe politique cédant facilement à l’appel populiste. L’exemple type en est la déclaration du ministre de la Défense du Burkina Faso, Moumina Cheriff Sy, en juin 2019 : « Nous nous posons beaucoup de questions : s’ils le voulaient vraiment, ils auraient pu les battre, alors, ont-ils d’autres priorités ? »

Ces prétéritions sous-entendent une volonté de la France d’avoir institué et maintenu un état de guerre pour justifier une mainmise économique et un contrôle politique et militaire sur les États sahéliens et leurs ressources, de surcroît présentées comme des Eldorado. Les conséquences, globalement surestimées, de la guerre en Libye – ellemême réduite à l’intervention occidentale –, ou encore l’incompréhension des positions françaises anciennes vis-à-vis des autonomistes Touaregs – aujourd’hui réduits par Bamako à des djihadistes – sont bien entendu ici largement exploitées. Cette rhétorique anti-française, portée par les réseaux sociaux et les stratégies de manipulation de l’information, est évidemment d’autant plus difficilement supportable pour la France que ses soldats perdent la vie presque tous les mois dans le cadre de l’opération Barkhane. La collision de deux hélicoptères français lors de combats dans la vallée d’Eranga en novembre 2019 fait l’amère démonstration de cette divergence de perceptions : alors que la France enterre ses 13 soldats tués, la presse sahélienne fait le procès du manque de sincérité de l’opération Barkhane et dénonce un agenda caché. Alors que la situation ne cesse de se dégrader dans la zone dite des trois frontières aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso45, Emmanuel Macron « convoque » en janvier 2020 les chefs d’État du G5-Sahel, dans une période encore fortement marquée par les 13 morts de l’accident d’Eranga. Il vise précisément à clarifier la situation : le renforcement de l’action militaire française sera conditionné par la confirmation solennelle de la demande d’aide des pays sahéliens à la France pour lutter contre le terrorisme et leur engagement pour des efforts de gouvernance En dépit de la dynamique insufflée par le sommet de Pau, l’épidémie de Covid-19 et le marasme politico-économique qui en découle au Sahel et singulièrement au Mali – où le président IBK maintient des élections législatives dans des conditions déplorables – reprend vite le dessus. Aussi la chute de ce dernier à la suite du coup d’État qui survient en août 2020, si elle n’avait pas été anticipée, est-elle accueillie à Paris sans grand regret, d’autant que la nouvelle junte indique un calendrier de transition raisonnable et affiche sa volonté de poursuivre la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme. Mais rapidement les pierres d’achoppement jusqu’alors sous-jacentes se font plus nettes encore. La libération de plus de 200 djihadistes par Bamako dans le cadre de négociations pour la libération d’otages suscite l’ire de Paris, alors que la perspective d’un retour à la norme constitutionnelle s’éloigne : la conditionnalité française liant bonne gouvernance et lutte contre le terrorisme est clairement défiée.

Les lignes de fracture deviennent plus claires lorsque survient le second coup d’État à Bamako le 24 mai 2021 qui renforce le contrôle des militaires et l’influence de deux personnalités réputées proches de Moscou, le colonel Sadio Camara et l’ex-opposant Choguel Maïga – nommé Premier ministre. La suspension en juin 2021 de la coopération militaire francomalienne au motif du manque de progrès dans la transition démocratique ne fait que conforter le souhait depuis longtemps formulé par Emmanuel Macron de mettre en œuvre une stratégie de sortie du conflit sahélien. L’annonce en ce sens faite le 10 juin par le président de la République ne va cependant faire qu’accélérer la brouille franco-malienne. Alors qu’il accuse la France « d’abandon en plein vol» à la tribune des Nations unies, Choguel Maïga et son ministre de la Défense Sadio Camara, préparent en sous-main un partenariat alternatif avec la Russie par l’intermédiaire des mercenaires de la société militaire privée Wagner. C’est donc toute l’approche française du conditionnement du soutien militaire à des critères politiques internes et de lutte contre le terrorisme qui est mis à mal dans la crise malienne. Tout est dit, ou presque, dans l’allocution d’Emmanuel Macron le 17 février 2022 : « La lutte contre le terrorisme ne peut pas tout justifier. Elle ne doit pas, sous prétexte d’être une priorité absolue, se transformer en exercice de conservation indéfinie du pouvoir. » Le contexte de compétition stratégique accrue à l’échelle internationale rend toutefois cette conditionnalité politique, en matière de gouvernance et de respect des normes démocratiques, plus difficile à tenir. En effet, d’autres compétiteurs, la Russie en tête, mettent aujourd’hui sur la table une offre de « sécurisation de régime » sans condition politique interne, suivant une ligne qui n’est d’ailleurs pas si différente de celle de la France des années 1960 à 1990.

Intérêts et menaces : les motifs de la présence

Calqué sur la géographie de l’ancienne Union française, le dispositif militaire que la France a gardé en Afrique apparaît bien comme l’héritage de ses positions coloniales, conservées à la faveur de la persistance des liens entre l’ancienne métropole et les nouveaux États. Malgré la réorientation progressive de sa politique étrangère dans une perspective de « puissance d’équilibre », la France a maintenu un intérêt géopolitique unique pour ses anciennes possessions. Pourtant, face au constat d’échec, ou a minima de contreperformance stratégique de la politique conduite en Afrique de l’Ouest au cours des dix dernières années, certains pourraient être tentés de tourner définitivement le dos à des problèmes qui semblent désormais hors de portée des moyens français. C’est en partie la ligne imaginée depuis 2017 visant à se concentrer sur « l’autre Afrique » : celle qui de l’Éthiopie à l’Afrique du Sud en passant par le Rwanda, semblait un temps laisser derrière elle les problématiques de sécurité pour faire valoir des projets d’avenir dans le champ économique.

En même temps, les responsabilités historiques de la France en Afrique de l’Ouest francophone ne lui ont pas permis de se détourner de cette zone en dépit de tous les risques politiques à y prolonger son implication. Deux écueils guettent aujourd’hui les décideurs à l’égard des choix français à l’endroit de la région. Le premier serait de renoncer à y exercer ce qui reste de sa puissance, sous prétexte d’un « afro pessimisme » renvoyant le continent aux « trois Parques sur mortelles » d’Alfred Sauvy50. Le second serait de céder aux sirènes de l’« afro-optimisme51 » de milieux d’affaires bien intégrés à la mondialisation qui plaquent trivialement le modèle de la start-up nation sur des pays en proie à des défis structurels considérables. Et pour cause, le dynamisme économique demeure très contrasté tandis que le niveau des inégalités y est parmi les plus élevés au monde.

Dès lors, il est impératif de porter un regard réaliste et dépassionné53 sur les ambitions et les coûts de l’actuel engagement de la France. L’enjeu est clair : s’inscrire de façon plus résolue dans l’exploitation des dynamiques africaines au lieu de se limiter à subir leurs externalités négatives.

Un sentiment anti-français exacerbé

Ce paysage sous tension est ainsi marqué par la complexité des défis à relever et l’omniprésence de la compétition entre acteurs de tous niveaux. L’engagement militaire français, qu’il prenne la forme d’interventions ou de forces de présence, s’intègre partout dans des problématiques de sécurité intérieure qu’il est aisé d’amalgamer à de l’ingérence. La comparaison avec le Royaume-Uni est à ce titre édifiante. Depuis les indépendances, Londres n’a mené qu’une seule intervention en Afrique, en 2000 au Sierra Leone. À l’inverse, Paris est resté très visiblement engagé aux côtés de régimes acceptant rarement le jeu de l’alternance et fortement marqués par la corruption. Le modèle de cette omniprésence politique et diplomatique convergeant avec les intérêts de ses grands groupes et garantie par ses implantations militaires appartient indéniablement aujourd’hui plus au registre des compétiteurs illibéraux qu’à celui d’une démocratie occidentale. Dans ce contexte, l’actuel rejet de la France parmi les opinions d’Afrique de l’Ouest pourrait agir comme une lame de fond97. Présente dans la plupart des pays de la région, elle s’exprime dans les médias et sur les réseaux sociaux mais également dans la rue, avec une ampleur croissante. Elle touche aussi bien les pays aux prises avec la subversion djihadiste (Niger, Mali, Burkina Faso) que les riverains du golfe de Guinée (à l’image des émeutes de janvier 2022 au Sénégal). Cette dynamique d’émancipation de la « rue africaine » semble s’expliquer par la place exponentielle de la jeunesse, dont le dynamisme et les aspirations au changement bouleversent la sociologie de la région, et par la généralisation de l’accès à Internet qui facilite la connexion entre groupes mais aussi l’entrée en résonance des différents motifs de contestation. Facteur aggravant de la fragilisation des États et des sociétés, la démographie galopante pèse en effet lourdement sur l’efficacité potentielle de la coopération ou de l’aide au développement. Alors qu’en 1950, l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest représentait tout juste 80 millions d’habitants – moins du double de la population française – elle était passée à 180 millions en 1990. Trente ans plus tard, l’aire considérée se chiffre aux alentours de 400 millions d’habitants et devrait encore presque doubler d’ici à 2050. Il va sans dire que dans ces conditions, l’influence de la France et même de l’Europe sur les trajectoires africaines, aussi bien sur le plan économique que diplomatique et sécuritaire tend à se marginaliser. L’urbanisation rapide de la région, le développement du secteur des médias et des réseaux sociaux – via l’essor spectaculaire de la téléphonie mobile et son taux de pénétration proche des 100 % en Afrique de l’Ouest98 – jouent un rôle clé dans les dynamiques informationnelles et réputationnelles.

Les anciens relais de l’image de la France sont aujourd’hui battus en brèche par des influenceurs locaux qui jouent habilement sur la fibre nationaliste. Les pouvoirs africains en sont eux-mêmes conscients et n’hésitent pas à en user pour tenter, avec plus ou moins de succès, de détourner l’ire des opinions vers l’ancienne puissance coloniale, quand bien même elle se révélerait la mieux-disante en termes d’offre partenariale. Ainsi, la France semble prise au piège des profonds dysfonctionnements et des turpitudes des régimes africains qu’elle a continuellement soutenus et auxquels elle reste irrémédiablement identifiée. Les motifs de rejet portent sur tous les aspects de ce qui est perçu comme une ingérence : immixtion dans les affaires politicofinancières, incompréhensible échec des actions de contre-terrorisme au regard de la puissance supposée voire affichée de l’armée française, maintien de la tutelle monétaire malgré le passage éminemment symbolique du franc CFA à l’ECO.

Rebâtir sa liberté d’action représente un défi aussi indispensable pour ses intérêts politiques et économiques qu’apparemment insurmontable. Refonder les relations de la France avec ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest se heurte à un contexte particulièrement défavorable. Avec le redéploiement de l’opération Barkhane, les groupes djihadistes retrouvent une marge de manœuvre, comme l’a dramatiquement illustré l’attaque du camp de Mondoro, au centre du Mali le 4 mars 2022 et durant laquelle les FAMa – bien que submergées – n’ont pas demandé l’appui français. Dans les zones de crise de la Centrafrique et du Sahel, la Russie se déploie non plus seulement en compétiteur systémique mais désormais très clairement en confrontation avec la France. De façon plus globale, au recul régulier de ses parts de marché, notamment face aux pays émergents (Chine, Inde, Turquie) s’ajoute la diffusion d’une tendance populiste qui se nourrit de théories du complot et de la diffusion massive de fausses informations. La tentative de reprendre l’initiative à la faveur du 28e sommet, désormais plus heureusement nommé « Afrique-France », à Montpellier le 8 octobre 2021, ne semble pas avoir radicalement convaincu. Le dialogue direct du président de la République avec un panel choisi des sociétés civiles99, qui s’est substitué à la rencontre traditionnelle – et conforme à la symétrie des formes – des chefs d’État africains, apparaît bien insuffisant pour solder une image fortement écornée. Dans ce contexte, envisager l’adaptation du dispositif militaire français est une question hautement sensible. La clarification de sa finalité ne suffira pas à renforcer son acceptabilité, ce dernier aspect étant désormais au cœur de la mission.

Synthèse de Rokhaya Daba KÉBÉ

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